La situation s’est détériorée au Sénégal, autrefois considéré comme un havre de la liberté de la presse. Les partisans du président Abdoulaye Wade et les membres de son gouvernement ont réagi contre les critiques de la presse à travers une rhétorique méprisante, des agressions physiques et verbales et des poursuites pénales. Le 21 juin, le tabassage de deux journalistes sportifs couvrant à Dakar le match qualificatif pour la Coupe du monde a été le symbole de ces tensions et a déclenché un débat national controversé sur la liberté de la presse.
Des policiers en civil de la Brigade polyvalente d’intervention ont agressé avec des pistolets Taser le chef du service des sports à Radio Futurs Médias Babacar Kambel Dieng et le reporter Kara Thioune de la station bilingue West Africa Democracy Radio après qu’ils aient refusé d’interrompre une interview d’un joueur sénégalais près des vestiaires de l’équipe et de se diriger vers la salle de conférence d’après match, selon d’autres journalistes et des témoins. Les deux hommes ont témoigné au CPJ avoir été menottés puis traînés dans une pièce isolée du stade, où ils ont été battus. Deux heures plus tard, les deux journalistes ont été relâchés sans inculpation. Le magnétophone de Dieng a enregistré les bruits du tabassage, qui ont été ensuite diffusés sur une radio locale. Dans une lettre au chef de l’Etat, le CPJ a exprimé son inquiétude à propos de cette affaire et de ce qu’il considère comme un climat dégradé pour la presse indépendante du Sénégal, l’une des plus dynamiques d’Afrique. Les journalistes locaux ont formé un Comité de protection et de défense des journalistes, qui a organisé une série de manifestations à travers le pays, ainsi qu’une journée presse morte sur l’information et deux marches de plusieurs milliers de personnes à Dakar.
En retour, le gouvernement de Wade a envoyé un message ambigu. Le ministre de l’Intérieur Cheick Tidiane Sy a muté les agents impliqués dans l’agression mais, dans une déclaration le 10 juillet, il a accusé les journalistes d’avoir provoqué l’incident en agressant l’un des agents. Le ministre de l’Information, Abdoul Aziz Sow, a déclaré au quotidien privé Le Quotidien que la sécurité des journalistes était « un souci essentiel du gouvernement ». Cependant, Farba Senghor, ministre du Transport aérien a appelé le gouvernement et ceux qui le soutiennent à boycotter les médias impliqués dans les manifestations. Le procureur de la République a annoncé la nomination d’un juge d’instruction expérimenté pour superviser l’enquête sur l’agression, mais fin 2008 aucune inculpation n’avait été dressée à l’encontre des policiers.
L’affaire a eu de l’écho en partie parce que la police avait déjà fait usage de violence contre les journalistes à peine trois mois plus tôt. En mars, elle avait en effet utilisé le Taser contre le reporter de Walf TV Ousmane Mangane, alors qu’il essayait de mener une interview en direct avec une députée de l’opposition, Mously Diakhaté, au cours d’une manifestation antigouvernementale à Dakar.
Ces agressions ont eu lieu dans le contexte d’un discours endurci de Wade envers la presse. Le président fut pourtant un allié et favori de la presse lors de son avènement au pouvoir en 2000. Toutefois, dans son livre publié en 2008, Une vie pour l’Afrique, Wade décrit son désamour avec la presse, pourtant considérée comme ayant contribuée à la transition démocratique l’ayant amené au pouvoir. « La presse qui m’a accompagné et soutenu lors de la campagne présidentielle de 2000 a commencé à se retourner contre moi début 2002-2003. Je trouve ces attaques très injustes », écrit-il.
En juillet, alors qu’il assistait à la convention annuelle de l’Association nationale des journalistes noirs (NABJ) basée à Chicago, Wade s’est interrogé sur les qualifications des journalistes sénégalais et les a accusés de manquer de déontologie. « Qui est journaliste ? Ce sont des politiciens ! Les journalistes sont corrompus”, a-t-il déclaré dans le journal de la convention de la NABJ, Unity News. La presse sénégalaise a été « infiltrée par la politique », a-t-il dit dans le Chicago Sun-Times. « Si vous ne leur donnez pas d’informations, ils vont en inventer. Ils insultent les gens. Ils les accusent alors qu’ils n’ont même pas de preuves. » Alors même qu’il était loué par la NABJ comme « un porte-parole de premier plan de la démocratie et du développement », Wade a déclaré qu’il pousserait pour que les journalistes aient l’obligation d’être agréés, reçoivent une formation professionnelle et aient un diplôme. Le gouvernement n’a cependant pris aucune mesure immédiate sur ce front.
Les partisans du Président ont aussi pris la presse pour cible. Dans un commentaire long de 4100 mots et publié le 4 août dans le quotidien d’Etat Le Soleil, le parlementaire Iba Der Thiam a dépeint la plupart des journalistes comme des gens corrompus et sans éducation, se livrant au chantage et à des activités « terroristes ». Dans cet article intitulé « L’émergence d’un journalisme voyou menace nos libertés », Thiam a déclaré que la moitié des articles publiés dans la presse indépendante étaient faux. Il a dit que la critique du gouvernement doit être faite « de façon responsable », à défaut de quoi elle sape l’intérêt national et le développement.
En août, le ministre des Transports aériens Senghor, chef de file de la propagande du parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais, a menacé de représailles plusieurs quotidiens privés qui avaient publié des articles critiques, dont un entretien avec son épouse dont il est séparé et un article s’interrogeant sur son salaire en tant que président du conseil d’administration d’une compagnie de bus privée. Dans un communiqué publié dans Le Soleil, Senghor a accusé les journaux « d’orchestrer » une série « d’attaques excessives » contre lui « avec une intention manifeste de nuire ». Le communiqué ajoutait : « Il n’y a aucune différence entre la violence verbale, écrite et physique. La liberté de la presse ne donne pas du tout le droit à un journaliste d’attaquer sans cesse et en toute impunité d’honnêtes citoyens. » Il a déclaré se réserver le droit d’agir pour son autodéfense.
Trois jours plus tard, une dizaine d’hommes ont mis à sac les salles de rédaction des quotidiens privés L’As et 24 Heures Chrono à Dakar. Les agresseurs ont endommagé l’équipement et attaqué le personnel à la bombe lacrymogène, blessant l’assistant de production de 24 Heures Chrono Ablaye Dièye. Plusieurs journalistes interrogés par le CPJ ont rapporté avoir vu les agresseurs dans un 4×4 Toyota L200 blanc, avec une plaque d’immatriculation marquée « AD » comme celles appartenant au gouvernement. Senghor a nié toute implication mais a suggéré que les journaux avaient peut-être provoqué ces attaques. « Quand on sème le vent, on peut s’attendre à récolter la tempête », a-t-il déclaré.
Le 28 août, Senghor a été démis de ses fonctions et dépouillé de son immunité gouvernementale, après que la police a arrêté plusieurs suspects de l’attaque ayant des liens avec le ministre. Un tribunal pénal de Dakar a condamné 12 individus à 5 à 6 ans de prison pour cette agression, dont le chauffeur de Senghor et deux de ses gardes du corps. Senghor lui-même est sous enquête, selon la presse, mais n’avait pas été inculpé fin 2008.
La secte musulmane des Mourides – disciples d’un poète et mystique islamique du XIXe et XXe siècles – qui est politiquement influente au Sénégal a agressé et menacé les journalistes couvrant leurs activités. Au cours d’un incident largement couvert dans la ville de Mbacké, le Khalife mouride Serigne Bara Mbacké a frappé Babou Birame Faye, reporter à l’hebdomadaire Weekend, lorsque celui-ci a sollicité une interview. Faye n’a pas été blessé et le dirigeant s’est plus tard excusé.
L’enquête du CPJ montre que le gouvernement de Wade s’est mis à envoyer le Division des Investigations Criminelles (DIC) discipliner les salles de rédaction. Le 30 mars, par exemple, des officiers de la DIC ont fait une descente à Walf TV et ont confisqué les bandes d’images après que la station a diffusé en direct les affrontements entre la police et les gens manifestant contre la flambée des prix de l’alimentation, de l’essence et d’autres produits de base à Dakar. Le porte-parole de la police nationale, Alioune Ndiaye, a rejeté l’idée que le DIC dépassait les limites, déclarant dans un entretien au CPJ que les policiers n’étaient « pas limités dans leurs actions ». Tout au long de l’année, le DIC a régulièrement convoqué des journalistes pour interrogatoire et bloqué la distribution des journaux comportant des articles sensibles. En juillet, la police a saisi un numéro de L’As. Elle a interrogé son directeur de la rédaction Mamadou Thiemo Tall et le reporter Daouda Thiam après qu’ils ont essayé de publier un entretien avec un dirigeant syndical critiquant le ministre de la Justice.
Wade a été élu sur des promesses de réformes, dont la révision du code pénal. Ce code criminalise la diffamation et comporte des incriminations sur la sécurité nationale formulées en termes vagues. Plus de dix journalistes ont été envoyés en prison depuis 2000 sur la base de ces articles du code pénal, selon les recherches du CPJ. Son gouvernement n’a néanmoins pas tenu ses promesses, persistant à ignorer un rapport rédigé par une commission présidentielle en 2004. Cette commission, qui comprenait des journalistes, des représentants de la société civile et des experts juridiques internationaux, appelait à la suppression d’incriminations répressives telles que l’« offense au chef de l’Etat », la « publication de fausses nouvelles » et les « actes de nature à troubler l’ordre public et à occasionner des troubles politiques graves ». Dans son livre, Wade dit que le gouvernement est toujours en train de considérer les propositions pour remplacer les peines de prison par des amendes dans les affaires de diffamation.
Entre temps, Jules Diop et Serigne Saliou Samb, rédacteur en chef et rédacteur en chef adjoint du quotidien privé L’Observateur, ont écopé d’une peine de six mois de prison avec sursis à propos d’un article critiquant le ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom. Papa Moussa Guèye, rédacteur en chef du quotidien privé L’Exclusif, a reçu la même peine pour « publication de fausses nouvelles » pour un article critique à l’égard de Wade. En août, l’éditorial de Une commentant une allégation de blanchiment d’argent impliquant Wade et son fils Karim, a conduit à l’arrestation et à la condamnation d’El Malick Seck, directeur de la rédaction de 24 Heures Chrono, sous le coup de plusieurs articles du code pénal, dont l’offense au chef de l’Etat, la publication de fausses nouvelles et la menace à l’ordre public. Seck a été condamné à trois ans de prison. Il a fait appel mais demeurait derrière les barreaux fin 2008.
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