Commençant et s’achevant par de sérieuses attaques contre la presse, une tumultueuse année 2008 a reculé le rang du pays comme leader régional de la liberté d’expression. Un projet de loi répressif sur les médias a circulé au parlement en décembre avant d’être, pour inaugurer 2009, ratifié en loi par le président Mwaï Kibaki. Mise en œuvre malgré les protestations des médias locaux et internationaux, cette mesure donne au gouvernement des pouvoirs considérables de censure. Le ministère de l’Information et la commission sur la communication nouvellement crée ont reçu une large autorité pour réguler la programmation et le contenu des médias audiovisuels. La loi conserve des dispositions permettant au ministre de la Sécurité intérieure de faire des descentes dans les rédactions et de confisquer du matériel de presse au nom de la défense de la sécurité nationale.
Douze mois plus tôt, après que les résultats contestés de l’élection présidentielle de décembre 2007 ont déclenché des émeutes généralisées, le gouvernement a imposé une interdiction d’un mois sur la diffusion des informations en direct. Le président en exercice Kibaki a été déclaré vainqueur contre le candidat de l’opposition Raïla Odinga, le 29 décembre 2007, en dépit de nombreuses preuves montrant que le scrutin avait été truqué, selon la presse et les observateurs indépendants. Les résultats ont réveillé de vieux griefs entre l’ethnie des Kikuyus, groupe politiquement dominant et dont fait partie Kibaki et l’ethnie des Luos, dont est membre Odinga. Une semaine après le vote, 600 Kényans avaient trouvé la mort et 250 000 avaient été déplacés, selon des estimations de l’Onu.
Au milieu de profondes divisions politiques et ethniques, la presse a fait face à un torrent de menaces qui ont conduit à une autocensure. Simultanément, les journaux ont été accusés de privilégier tel ou tel côté dans leur couverture et les radios communautaires ont été accusées d’avoir nourri les tensions par l’usage d’un langage connoté sur le plan ethnique.
La crise s’est résorbée avec la formation en mars d’un gouvernement de coalition par les candidats rivaux avec Kibaki comme président et Odinga comme premier ministre. Cependant, la période troublée de l’après élection a fait sursauter le monde et secoué la nation, soulevant de graves questions sur le futur de la presse kényane jusqu’ici considérée comme l’une des plus libres du continent.
Des membres du ministère de l’Information ont annoncé l’interdiction de la couverture en direct le lendemain de l’annonce des résultats, déclarant que reportages et commentaires pourraient inciter à plus de violences. David Makali, directeur de l’Institut sur les médias, un organisme de défense de la presse basé à Nairobi, a qualifié l’interdiction de « mesure extrême par un gouvernement en proie à la panique ». Les médias ont, de façon générale, respecté l’interdiction, loués en cela par le gouvernement et par les observateurs de l’Union européenne. Les stations indépendantes KTN, NTV et Citizen TV ont diffusé le message « Sauvez notre pays » en inscription sur l’écran. Un groupe de 40 femmes journalistes a lancé une campagne du « ruban blanc » pour encourager la paix et l’harmonie entre les ethnies, selon l’une de leurs dirigeantes, Nancy Mburu dans un entretien avec le CPJ. Les principaux quotidiens nationaux, The Nation et The Standard, ont adopté un attitude similaire, publiant le même éditorial en Une, intitulé « Sauvez notre pays bien-aimé ».
Cependant, des voix critiques ont dit que certains journalistes ont manqué inutilement de vigilance dans leur couverture de la crise, détournant leur regard à la fois de l’ampleur et des causes de la violence. Kwendo Opanga, directeur éditorial du Standard Group, qui possède The Standard, a dit que les journalistes n’avaient pas enquêté de façon appropriée sur les allégations de fraude sur les élections. « Les enjeux étaient tels que ne pas chercher la vérité n’était pas permis », a-t-il déclaré. Sous la pression du gouvernement, a-t-il ajouté, les médias ont minimisé certaines informations et en ont ignoré d’autres entièrement.
Les analystes se sont aussi plaints d’un certain favoritisme politique dans la couverture des élections. Dans des entretiens avec le CPJ, des journalistes de The Nation ont dit que leur journal avait eu tendance à soutenir le parti au pouvoir, tandis que des membres de The Standard ont déclaré que la couverture du leur tendait à appuyer le Mouvement démocratique Orange de Odinga.
Hannington Gaya, président de l’Association des propriétaires de médias du Kenya, qui compte vingt membres, a déclaré à Reuters que certains de ses membres avaient appliqué « sélectivement » l’interdiction de diffuser en direct, arrêtant la couverture d’un parti et continuant celle de l’autre.
Les journalistes ont travaillé dans un climat marqué par la peur. Dans de nombreux entretiens, des journalistes de premier plan et des rédacteurs en chef ont dit au CPJ avoir reçu des menaces de mort par texto et par email, tout au long de janvier et jusqu’en février. La plupart de ces menaces semblent être venues de militants kikuyus et d’agents de la sécurité d’Etat, a déclaré Makali dans un entretien pour le magazine du CPJ, Dangerous Assignments.
Trois journalistes ont été gravement blessés dans la période autour des élections. En janvier, les photographes Hezron Njorge de The Nation et Robert Gicheru de The Standard ont été blessés par balle alors qu’ils couvraient les émeutes dans les bidonvilles de Kibera, à Nairobi, a rapporté The Nation. Tous deux ont été hospitalisés mais se sont remis de leurs blessures. Clifford Derrick, reporter et cameraman à Kenya Television Network, a été brutalement agressé en essayant de couvrir les allégations de fraude électorale à Nairobi. On pense que des militants du parti au pouvoir sont derrière cette agression à l’issue de laquelle Derrick a été hospitalisé pour de graves blessures aux reins, selon des journalistes locaux et des organisations kényanes de droits de l’homme. L’agression a eu lieu le 26 décembre 2007 mais a été largement occultée pendant plusieurs semaines.
Le gouvernement et des organisations de la société civile ont critiqué les nombreuses radios communautaires du Kenya pour avoir promu la violence au cours de la crise post-électorale. Selon une étude des médias financée par le Programme des Nations Unies pour le Développement, plusieurs stations en langues locales ont utilisé un langage voilé et idiomatique pour susciter les divisions ethniques. Le directeur de la Commission kényane des droits de l’homme, L. Muthoni Wanyeki, a déclaré que certains organes étaient « clairement complices » de la montée de la violence.
Il reste que, d’après le témoignage à la BBC de Peter Oriare, un correspondant de The Nation, les messages implicites sur les radios locales ne sont pas grand chose en comparaison du flot de menaces par téléphone portable privé et par email qui ont encouragé la haine et la violence ethnique. Odero, du Haut conseil des médias du Kenya, un organe indépendant de régulation des médias, a remarqué que les politiciens propriétaires de stations de radio portent une lourde responsabilité dans l’aggravation des tensions. « Au Kenya, on a une situation où certains politiciens possèdent des stations FM, notamment en langue locale », précise-t-il.
Le 4 février, tandis que la violence se résorbait, le ministre de l’Information Samuel Poghisio a rendu visite aux principales sociétés de presse pour leur annoncer que l’interdiction de diffuser en direct allait être levée. Poghisio et d’autres membres du gouvernement ont utilisé la crise comme prétexte pour suggérer des mesures de contrôle de la presse. Le pouvoir a annoncé qu’il allait établir un groupe de travail pour revoir la couverture de la période post-électorale par les médias. De son côté, Poghisio a menacé de fermer cinq stations locales sur des accusations d’incitation à la violence. Dans les deux cas, le gouvernement n’a pas donné suite à ces projets.
Dans son entretien à Dangerous Assignments, Makali a fait une analyse mitigée du travail des organes d’information. « Le journalisme kényan a eu son baptême du feu. Il est généralement reconnu que les médias n’ont pas été glorieux et ont participé à la division ethnique qui a marqué la campagne », a-t-il dit. Néanmoins, note-t-il, « étant donné l’intensité de la bataille et de la crise post-électorale, les médias ont tenu bon en faisant un travail assez professionnel. L’intégrité générale des médias demeure intacte ».
Tandis que la crise électorale a dominé le paysage médiatique, le meurtre mystérieux d’un photographe natif de Nouvelle-Zélande a soulevé de nombreuses questions. En mai, Trent Keegan a été retrouvé mort dans un fossé près du Parlement à Nairobi. La police a déclaré qu’il avait été victime d’un vol ayant mal tourné, mais ses confrères et des membres de sa famille sont demeurés sceptiques car l’argent dans son portefeuille s’y trouvait encore, tandis que son ordinateur et téléphone portables avaient été volés. La police a arrêté deux hommes. Un a été acquitté au procès, l’autre était toujours inculpé fin 2008. Keegan avait travaillé sur un conflit foncier entre une compagnie de safari et la communauté locale masaï dans le nord de la Tanzanie.
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