Bruxelles, 2 mai 2016. Un tribunal de Madrid a ordonné l’ouverture d’un jugement oral à l’encontre de Cruz Morcillo et Pablo Muñoz, deux journalistes du quotidien espagnol ABC, à la suite de leurs informations sur des écoutes téléphoniques effectuées par la police lors d’une enquête sur des membres présumés de l’organisation criminelle italienne Camorra, selon la presse locale et Muñoz.
Le 20 avril dernier, les journalistes ont été notifiés que, le 11 avril, une juge de Madrid avait ordonné qu’ils soient jugés sur base des charges qui avaient été présentées par le procureur en octobre 2015 pour violation présumée du secret des enquêtes, selon des informations publiées dans des médias locaux.
S’ils sont condamnés, les journalistes risquent des peines de prison de deux ans et demi et une amende de 50 Euros par jour pendant 20 mois.
Les accusations portent sur l’information publiée par ABC le 11 juillet 2014, fondée sur une conversation qu’aurait eue deux membres de la mafia en mars 2013. Au cours de cette conversation qui, selon ABC, a été interceptée par la police espagnole durant une enquête baptisée Operacion Tarantella, les deux suspects discutent prétendument de Luis Barcenas, ex-trésorier du Parti Populaire, la formation de centre-droit au pouvoir en Espagne.
Barcenas, qui est accusé de plusieurs faits de corruption et de blanchiment d’argent, selon la presse, a également entamé une procédure pénale contre Morcillo et Muñoz. Ses avocats ont présenté les mêmes charges contre les deux journalistes le 28 octobre 2015, selon les documents judiciaires. Il demande une peine de prison de trois ans à l’encontre des reporters. Barcenas nie les accusations de corruption portées contre lui, selon la presse.
Trois jours après la publication de l’article d’ABC, le juge qui supervisait l’Opération Tarantella, a ouvert une procédure contre les journalistes pour révélation présumée de secrets de l’enquête et a ordonné à la police de contrôler leurs communications téléphoniques durant les 10 jours précédant la publication de l’article, dans le but d’identifier la source qui avait fuité la conversation. L’identité de ceux qui, pendant cette période, eurent des contacts téléphoniques avec les deux journalistes a été transmise au juge d’instruction et à Barcenas, selon Muñoz et d’autres sources d’informations. En septembre 2015, le Ministère public a transmis le cas à un juge d’instruction de Madrid. Le juge d’instruction n’a pas annoncé publiquement si la source présumée de la fuite avait été identifiée au cours de la surveillance des appels aux deux journalistes.
« Nous exigeons que le Ministère public retire les charges portées contre Cruz Morcillo et Pablo Muñoz », a déclaré Nina Ognianova, Coordinatrice du Programme pour l’Europe et l’Asie Centrale au Comité pour la protection des journalistes (CPJ). « Emprisonner des journalistes alors qu’ils ont fait leur travail en publiant des informations d’intérêt public constituerait un précédent dangereux. D’autre part, l’ordre judiciaire visant à avoir accès aux conversations téléphoniques entre les journalistes et leurs sources pourraient entraver le libre flux de l’information ».
Les journalistes assurent que leur article n’a pas nui à l’enquête judiciaire, étant donné que les deux suspects avaient été arrêtés avant la publication de l’information. « Nous avons procédé comme nous l’avons toujours fait, a déclaré Muñoz au CPJ, en suivant trois principes fondamentaux: notre information était pertinente, véridique et objective, et elle a été obtenue par des moyens légitimes ». « Par ailleurs, a-t-il ajouté, nous ajoutons toujours un quatrième principe qui guide nos enquêtes journalistiques: notre information ne porte pas préjudice aux opérations policières en cours, comme ce fut le cas alors et comme ce le sera toujours ».
Tous les recours en appel introduits par les avocats des journalistes sauf un, ont été rejetés, selon Muñoz. Les journalistes attendent la décision d’un tribunal sur le dernier recours et ils devront comparaître devant la juge du tribunal d’instruction s’il est également rejeté.
En réponse à la décision de justice, le journal ABC a publié un éditorial le 28 avril qui critique le « zèle inquisitorial » du ministère public. Bieito Rubido, directeur d’ABC, a indiqué au CPJ qu’il condamne la « scandaleuse insolence morale du procureur et de la juge de ne pas poursuivre les délinquants mais bien les journalistes à propos d’une information véridique qui ne porte pas atteinte à la sécurité nationale ».
L’Association de la Presse de Madrid a émis un communiqué en faveur de Morcillo et Muñoz. « Les journalistes ont l’obligation professionnelle et morale de publier une information quand elle est véridique et d’intérêt général », indique leur communiqué. Les journalistes ont également reçu l’appui d’une association progressiste de juges, Jueces para la Democracia, qui se réfèrent à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel d’Espagne. « Si l’information est véridique et d’intérêt public, le droit à l’information doit l’emporter », a déclaré le porte-parole de l’association, Joaquim Bosch.
La Procureure générale de l’Etat, Consuelo Madrigal, a annoncé pour sa part durant une intervention au Congrès des Députés qu’elle « veillera sur le droit des journalistes à publier librement une information véridique d’intérêt public ».