Tom Rhodes/représentant du CPJ pour l’Afrique de l’Est
Les journalistes burundais pourraient finalement avoir plus de marge pour s’exprimer librement à l’approche des élections controversées dans leur pays cette année, après que l’Assemblée législative a fait pression pour modifier la loi draconienne sur la presse et qu’un directeur de station de radio a été libéré sur caution.
Cette semaine, le Sénat a commencé à débattre des révisions à apporter à l’actuelle loi répressive sur la presse, adoptée en 2013. D’après les bulletins d’informations, des propositions ont été introduites par l’Assemblée législative la semaine dernière et incluent l’abrogation de plusieurs articles, notamment ceux qui limitent la protection des sources des journalistes et interdisent les reportages critiques sur les sujets comme l’économie, la sécurité nationale, la sûreté publique et la moralité.
Les modifications proposées ont été annoncées quelques semaines à peine après que Bob Rugurika, directeur de la station privée Radio Publique Africaine, a été libéré sous caution, ce qui a affermi le monde petit mais dynamique de la presse burundaise.
Selon les informations, plus d’un millier de personnes est descendu dans les rues de Bujumbura, la capitale, pour célébrer la libération sous caution de Rugurika le 19 février. Ce journaliste qui était détenu depuis presque un mois, a été accusé de complicité de meurtre, comme l’indiquent les informations. Son arrestation a fait suite à la diffusion par la radio d’un entretien avec un invité qui avait avoué être impliqué dans le meurtre de trois religieuses italiennes en septembre, et dont les allégations impliquaient des agents de police et des renseignements, anciens et actuels, d’après Rugurika et son avocat.
Lors d’un entretien téléphonique peu de temps après sa libération, Rugurika m’a confié que lui-même ainsi que d’autres avaient craint que son arrestation le 20 janvier était non seulement une manœuvre pour réduire au silence sa station de radio critique, mais aussi un avertissement aux autres journalistes de rentrer dans les rangs en amont des élections prévues cette année. Rugurika a expliqué qu’il a été détenu dans la prison de Mpimba, à Bujumbura, la capitale, avant que les autorités le transfèrent à la prison de Muramvya, une cinquantaine de kilomètres à l’est de la capitale. Il m’a raconté que pendant sa détention, il a passé deux jours dans une cellule sans fenêtre de 1,5 sur 4 mètres, sans qu’aucune raison ne lui soit donnée pour justifier ce traitement, mais il pense que les autorités tentaient de les effrayer, lui et les autres journalistes, pour qu’ils se taisent. Le soutien inébranlable de la presse et de la société civile a réussi à dissiper ces craintes, a dit Rugurika. « [Cette démonstration de] soutien démontre notre position et notre engagement envers notre travail, et combien les gens sont fiers des médias et de la société civile », a-t-il ajouté.
Sous la direction de l’Union burundaise des journalistes, la presse burundaise a organisé des manifestations surnommées les « mardis verts » (le vert étant la couleur de l’uniforme de prison de Rugurika) pour appeler à la libération de Rugurika. « Tous les mardis à 8 heures du matin, la société civile et les professionnels des médias se rassemblaient et faisaient le tour du tribunal en portant des T-shirts verts et des pancartes exigeant la libération de Rugurika, et que justice soit faite pour les religieuses italiennes assassinées », m’a dit le président de l’Union, Alexandre Niyungeko. De nombreux participants aux manifestations ont scandé que « la peur a changé de camp », signifiant que les Burundais n’ont plus peur des autorités, ni des représailles de la police, a ajouté Niyungeko. Rugurika m’a également affirmé que « Ces manifestations ont en fait renforcé la société civile et [lui ont] prouvé qu’elle peut amener un changement ».
Cette manifestation de solidarité intervient au moment où les propositions de modification de la loi pourraient mettre fin à la menace qui force les journalistes à révéler leurs sources devant le tribunal. Ces modifications juridiques donneraient à la presse plus de liberté pour rendre compte de sujets essentiels dans le contexte des élections en 2015, a déclaré le directeur de Radio Bonesha, Patrick Nduwimana.
Selon les informations, Burundi aura des élections législatives en mai, des élections présidentielles de juin et les élections sénatoriales au mois d’août. On s’attend à ce que les élections présidentielles fassent l’objet de controverses car on rapporte que le président Pierre Nkurunziza prévoit de changer la constitution pour pouvoir se présenter pour un troisième mandat, malgré les avertissements des groupes de la société civile qu’une telle démarche entraînerait des troubles et des protestations.
Si le Sénat accepte les modifications à la loi sur la presse, les médias auront la possibilité de contester les décisions du Conseil national des communications géré par l’État. En outre, ce Conseil ne serait plus en mesure de suspendre immédiatement un organe de presse jusqu’à la fin des procédures judiciaires, selon une copie de la loi modifiée que le CPJ s’est procurée.
Dans le cadre des modifications proposées, plusieurs journalistes actuellement menacés de poursuites par la loi sur la presse pourraient se trouver capables de réaliser leur travail sans crainte d’être arrêtés et poursuivis. Ces derniers dix-huit mois, dans trois cas au moins, des procureurs de l’État ont convoqué des journalistes et menacé de les poursuivre à cause de leurs reportages sur la présumée distribution d’armes à la branche jeune du parti au pouvoir, m’a confié Nduwimana. Toutefois, les délits de presse peuvent toujours être considérés comme des actes criminels car la diffamation est perçue comme une infraction pénale. La presse craint que les autorités se servent de cette disposition pour réduire au silence les reportages critiques pendant la période des élections.
De plus, Rugurika craint que davantage d’arrestations puissent se profiler pour la société civile et les journalistes qui s’opposent au projet de Nkurunziza de changer la constitution afin de se représenter pour un troisième mandat. « Il y aura beaucoup de défis, a martelé Rugurika. Surtout des emprisonnements après les manifestations contre la tentative du président de se présenter pour un troisième mandat. »
[Reportage depuis Nairobi]