New York, le 26 février 2021 — Les autorités togolaises devraient immédiatement annuler la suspension du journal L’Alternative et veiller à ce que les journalistes du pays puissent travailler sans être harcelés ni intimidés, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.
Le 5 février, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), l’organisme de régulation des médias du Togo, a suspendu le journal privé L’Alternative pendant quatre mois, selon une copie de l’ordonnance de suspension examinée par le CPJ.
Depuis, le journal a cessé toute publication et mise à jour de son site Web, selon le directeur de la publication de L’Alternative, Ferdinand Ayité, qui s’est entretenu avec le CPJ via une application de messagerie. Ayité a déclaré au CPJ qu’il a également été victime de harcèlement juridique au cours des derniers mois.
« Le harcèlement persistant et les tentatives d’intimidation du journaliste Ferdinand Ayité et du journal L’Alternative envoient un signal au monde entier que les autorités togolaises ne permettront pas à la presse de travailler librement, » a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ. « Le Togo devrait se préoccuper de la protection du journalisme d’investigation, et non pas chercher à l’étouffer. »
L’ordonnance de suspension de la HAAC stipulait qu’un article publié le 2 février dans le journal avait enfreint les normes professionnelles et déontologiques, et mentionnait une plainte du 3 février déposée par Koffi Tsolenyanu, ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière du Togo, pour « fausses informations, offense et diffamation ».
L’ordonnance a fait valoir que le journal n’avait pas suffisamment tenté de contacter Tsolenyanu avant la publication et qu’il avait fourni des preuves insuffisantes de ses allégations. L’article, examiné par le CPJ, soutenait que Tsolenyanu était impliqué dans une fraude liée à la succession d’un homme d’affaires décédé.
Le 8 février, Isidore Kouwonou, rédacteur en chef de L’Alternative, a publié une déclaration, que le CPJ a examinée, défendant les efforts entrepris par le journal pour contacter Tsolenyanu avant la publication et niant qu’il disposait de preuves insuffisantes.
L’Alternative a fait appel de la suspension devant la Chambre administrative de la Cour suprême, mais aucune date d’audience n’a été fixée, selon l’examen des documents d’appel par le CPJ ainsi que par Ayité et Kouwonou, qui se sont également entretenus avec le CPJ via une application de messagerie.
Le 8 février, un membre de la HAAC, Zeus Komi Aziadouvo, a adressé une lettre au président de l’organisme de régulation, que le CPJ a pu examiner, et qui a été couverte par les médias locaux. Dans cette lettre, Aziadouvo a écrit que « en prenant cette décision [de suspension], nous avons tout simplement fait la volonté de M. Koffi TSOLENYANU ».
Auparavant, le 4 novembre 2020, un tribunal de Lomé, capitale du Togo, s’était prononcé contre Ayité et L’Alternative en leur qualité de personne morale suite à une plainte pour diffamation déposée par Fabrice Affatsawo Adjakly, directeur financier du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers, un organisme de régulation, selon les médias et une copie de la décision du tribunal examinée par le CPJ.
La plainte, examinée par le CPJ, demandait que L’Alternative et Ayité soient sanctionnés en vertu du code de la presse togolaise régissant les infractions liées aux médias.
Le tribunal a ordonné à Ayité et au journal de verser chacun 2 millions de francs CFA (3 703 USD) à titre de dommages et intérêts à Adjakly, que le journal avait accusé de détournement de fonds dans un article de juin 2020, selon ces sources.
Ayité et L’Alternative ont fait appel le même jour que cette décision ; la Cour d’appel de Lomé a tenu une audience sur l’affaire le 11 février à l’insu d’Ayité, et selon une copie des documents d’appel examinés par le CPJ, et les médias, la prochaine date prévue pour l’audience serait le 11 mars.
Par ailleurs, le 9 janvier, Ayité a indiqué sur Facebook qu’il avait été convoqué par le Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC) du Togo, mais que l’assignation avait été retirée plus tard dans la soirée et qu’il croyait que celle-ci pouvait avoir été liée à des messages qu’il avait publiés sur Facebook concernant un accident de la circulation local.
Le Patronat de la presse togolaise (PPT), une association locale de propriétaires de médias, a condamné l’intimidation d’Ayité et de L’Alternative dans des déclarations de janvier et février 2021 examinées par le CPJ et publiées par des médias locaux. En octobre 2020, 38 membres du Parlement européen ont signé une lettre examinée par le CPJ, exprimant leurs « plus profondes préoccupations » concernant le « harcèlement judiciaire » dont font l’objet Ayité et L’Alternative.
Contacté par téléphone, Willybrond Télou Pitalounani, président de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication, a déclaré au CPJ que la HAAC continuerait de contester les appels interjetés par L’Alternative à l’encontre de sa suspension et qu’il attendait la décision du tribunal.
Le CPJ a appelé Tsolenyanu, mais celui-ci n’a pas répondu ; les appels à Adjakly n’ont pas abouti.
Dans une toute autre affaire, le 26 janvier, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication a informé Komlanvi Ketohou, également connu sous le nom de Carlos Ketohou, qu’un tribunal avait approuvé le retrait de récépissé de son journal, L’Indépendant Express, selon Ketohou, qui s’est entretenu avec le CPJ via une application de messagerie, et une copie de l’avis de l’organisme de régulation examinée par le CPJ.
Ketohou a été arrêté le 29 décembre 2020, détenu jusqu’au 2 janvier, et L’Indépendant Express a été interdit de publication en attendant la décision du tribunal, comme l’a documenté le CPJ à l’époque.
Ketohou a déclaré au CPJ qu’il avait fait appel des décisions de la HAAC et du tribunal. Pitalounani a quant à lui déclaré au CPJ que le rétablissement éventuel de récépissé de L’Indépendant Express dépendait du tribunal.