L’Indice mondial de l’impunité du CPJ 2017 met en lumière les pays où les journalistes sont assassinés et les assassins échappent à la justice
Elisabeth Witchel
Publié le 31 octobre, 2017
Selon le 10e Indice mondial de l’impunité du Comité pour la protection des journalistes, un classement mondial des pays où les assassins de journalistes échappent à la justice, l’impunité des assassins peut devenir un cycle inextricable qui s’étend sur une décennie ou plus. Sur l’indice lancé depuis une décennie déjà, sept pays figurent chaque année sur la liste, notamment la Somalie qui est le pays en tête du classement, avec les taux d’impunité les plus élevés pour les meurtres de journalistes depuis trois ans d’affilée.
L’impunité se développe dans les situations de conflits armés où des acteurs puissants utilisent l’intimidation violente pour contrôler la couverture médiatique, tandis qu’un État de droit faible, voire inexistant, accroît la probabilité des attaques. La guerre civile prolongée et l’insurrection menées par les extrémistes du groupe militant al-Shabaab sonnent le glas de toute possibilité de justice pour deux dizaines de journalistes assassinés en Somalie depuis une décennie.
La guerre en Syrie a fait remonter ce pays en deuxième place de l’indice, alors qu’elle était en troisième place l’année précédente. L’Irak, pays où les journalistes et autres groupes sont menacés par le groupe extrémiste de l’État islamique et les milices soutenues par le gouvernement, figure au troisième rang du classement de l’indice mondial de l’impunité.
C’est dans le contexte des luttes entre les factions politiques au Soudan du Sud, qui figure au quatrième rang du classement, qu’il faut comprendre l’embuscade de 2015 au cours de laquelle cinq journalistes ont été assassinés. Les menaces proférées par les groupes extrémistes agissant en dehors du contrôle des autorités sous-tendent le taux d’impunité élevé dans trois autres pays qui figurent dans l’indice d’impunité : Le Pakistan, le Bangladesh et le Nigeria.
L’Afghanistan ne figure pas sur la liste pour la première fois depuis que le CPJ a commencé à calculer l’indice en 2008. Bien que les conditions sécuritaires restent très précaires et qu’aucune condamnation n’ait été prononcée à l’encontre des meurtriers de journalistes, le nombre d’assassinats ciblés de journalistes a baissé. En revanche, des actes de violence à plus grande échelle tels que l’attentat au camion piégé en plein centre de Kaboul au mois de mai, qui a tué 150 personnes, y compris un journaliste, sont la cause des décès récents. Au cours de la dernière décennie, plus d’une douzaine de journalistes ont été victimes de tirs croisés lorsqu’ils couvraient les combats ou lors de missions dangereuses. Le CPJ n’a signalé que deux cas de meurtres non-élucidés, pour la période couverte par l’indice.
L’indice de l’impunité, publié chaque année pour marquer la date de la journée internationale contre l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes qui a lieu le 2 novembre, calcule le nombre de meurtres non-élucidés sur une période de dix ans en pourcentage de la population de chaque pays. Dans cette édition, le CPJ a analysé les meurtres de journalistes, survenus entre le 1e septembre 2007 et le 31 août 2017 dans chaque nation. Sont inclus dans l’indice seulement les pays ayant au moins cinq meurtres non-élucidés pour cette période, un seuil que 12 pays ont atteint cette année, par rapport à 13 l’an dernier. Apprenez davantage sur la méthode du CPJ.
Les conflits ne sont pas la seule cause de l’impunité. Dans des pays comme les Philippines, le Mexique, le Brésil, la Russie et l’Inde – pays qui se targuent d’être des démocraties mais qui ont figuré à maintes reprises dans l’indice – les hauts fonctionnaires et les groupes criminels restent impunis pour de multiples assassinats de journalistes.
Au cours de la décennie où le CPJ a publié l’indice mondial de l’impunité, le classement de la Somalie a connu une hausse fulgurante de 198 pour cent. Les autres pays dont le taux d’impunité a augmenté le plus au cours des dix dernières années sont : Le Mexique (142 pour cent), le Pakistan (113 pour cent) et l’Inde (100 pour cent) ; les taux d’impunité ont augmenté de façon exponentielle en Syrie (195 pour cent) et le Brésil (177 pour cent), malgré le fait qu’ils n’ont pas paru sur l’indice pendant toute la décennie.
Outre l’Afghanistan, quatre pays ayant figuré à l’indice ont été enlevés de la liste à divers moments depuis 2008 : la Colombie, la Sierra Leone, le Sri Lanka et le Népal. Le fait qu’ils ont été retirés de la liste s’explique plutôt par le déclin de la violence associée à la fin des guerres civiles que par les poursuites engagées. Seuls la Colombie et le Népal ont condamné les auteurs de meurtres de journalistes et seulement dans de rares cas.
Au cours des dix dernières années, l’attention portée par la communauté internationale à la question de l’impunité des assassins de journalistes s’est considérablement accrue. Les Nations Unies ont adopté cinq résolutions au total – dont trois passées par le Conseil des droits de l’homme, une par l’Assemblée générale et une par le Conseil de sécurité, appelant les États à veiller à ce que justice soit rendue pour les crimes commis contre les journalistes. Cette année marque par ailleurs le cinquième anniversaire de l’adoption du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité.
Cette année, 23 États et notamment huit pays figurant dans l’indice ont répondu à la demande du Directeur général de l’UNESCO concernant l’état d’avancement de la procédure judiciaire relative aux meurtres dans ces pays. Le Pakistan a accusé réception de la demande, mais n’a pas fourni d’informations. Trois pays de l’indice – l’Inde, le Soudan du Sud et la Syrie – n’ont eu aucune réaction. Le CPJ et d’autres groupes de défense de la liberté des médias plaident en faveur de la pleine participation de tous les États à ce mécanisme de reddition de comptes.
Quelques constatations basées sur les données du CPJ concernant les journalistes assassinés :
- Les 12 pays figurant dans l’indice représentent près de 80 pour cent des meurtres non-élucidés, qui ont eu lieu dans le monde pendant la période de dix ans expirant le 31 août 2017.
- Quatre pays sur l’indice de cette année – l’Inde, le Mexique, le Nigeria et les Philippines – siègent au Conseil gouverneur de la Communauté des Démocraties, une coalition consacrée à la défense et au renforcement des normes démocratiques.
- Dans les cinq pays figurant sur l’indice, de nouveaux meurtres ont eu lieu au cours de l’année dernière, ce qui témoigne du puissant cycle d’impunité et de violence.
- Des groupes politiques, y compris l’État islamique et d’autres organisations extrémistes, sont les auteurs présumés de plus d’un tiers des meurtres. Des responsables gouvernementaux et militaires sont considérés comme les principaux suspects dans près d’un quart des cas de meurtres de journalistes.
- Approximativement 93 pour cent des victimes d’assassinat sont des journalistes locaux. La majorité d’entre eux couvrent l’actualité politique et la corruption dans leurs pays d’origine.
- Dans au moins 40 pour cent des cas, les victimes rapportaient avoir reçu des menaces avant d’être assassinés, soulignant ainsi l’importance de mécanismes de protection adéquates.
- Pendant toute la décennie, justice n’a été rendue que dans 4 pour cent de l’ensemble des cas de meurtre, y compris dans la poursuite des « cerveaux » derrière ces crimes.
- Au cours des dix dernières années, environ 30 pour cent des journalistes exécutés ont d’abord été faits prisonniers – pourcentage plus élevé que la moyenne historique de 22 pour cent depuis que le CPJ a commencé son suivi dans ce domaine en 1992. La majorité de ceux qui sont emprisonnés ont été torturés, amplifiant ainsi le message d’intimidation émis par les assassins aux collègues des victimes.
L’Indice
1. Somalie
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 26
Restés impunis : Groupes militants comme al-Shabaab, responsables gouvernementaux
Menacés de meurtre : Journalistes locaux qui couvrent l’actualité politique, la culture et la guerre
Progrès : Aucun depuis 2016 lorsque les tribunaux militaires ont condamné à mort des suspects impliqués dans six meurtres
Entrave : Au moins un journaliste, Abdiaziz Ali a été assassiné depuis la compilation de l’indice de l’année dernière. La Somalie a prononcé la peine de mort à l’encontre d’au moins trois personnes accusées d’avoir assassiné des journalistes en violation des normes internationales relatives aux droits de l’homme. Au mois de février, le nouveau Président élu, M. Mohamed Abdullah Mohamed, a annoncé qu’il appuyait la liberté de la presse, mais il n’a marqué aucune avancée dans l’obtention de la justice pour les journalistes assassinés.
Cas illustratif : Abdiaziz Alirentrait à pied de se chez ses parents à Mogadiscio au mois de septembre 2016, lorsque deux hommes sur des motos se sont arrêtés et lui ont tiré dessus à plusieurs reprises. Abdiaziz avait fait un reportage sur le nombre des civils morts dans le conflit somalien entre les forces gouvernementales et le groupe militant islamiste d’al-Shabaab. Au moins huit journalistes assassinés au cours des dix dernières années étaient affiliés à Shabelle Media Network, l’organe de presse d’Abdiaziz.
2. Syrie
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 17
Restés impunis : L’État islamique et autres groupes militants, les forces de sécurité
Menacés de meurtre : Journalistes locaux et correspondants étrangers couvrant les droits de l’homme, la guerre et l’actualité politique
Progrès : Le CPJ n’a confirmé aucun meurtre de journaliste en Syrie depuis l’indice de l’année dernière, bien qu’il ait enregistré au moins six autres morts de journalistes durant cette période, notamment des morts résultant de tirs croisés et lors de missions dangereuses.
Entrave : La Syrie est passée du troisième rang au deuxième rang de l’indice de l’impunité. Pas un seul cas de meurtre de journaliste n’a entraîné de poursuites pénales depuis que le CPJ a commencé son suivi dans ce domaine. La Syrie n’a jamais répondu à la demande de l’UNESCO concernant l’état d’avancement de la procédure judiciaire relative aux meurtres dans ce pays.
Cas illustratif : En décembre 2015, le journaliste Ahmed Mohamed Al-Mousa, âgé de 23 ans, a été abattu de deux balles dans la tête devant sa maison familiale à Abu al-Duhur, une ville du nord-ouest de la Syrie. Al-Mousa était rédacteur pour un collectif syrien de journalistes citoyens appelé Raqqa is Being Slaughtered Silently(RBSS : Raqqa est massacré en silence). Le meurtre d’Al-Mousa est survenu lors d’une campagne de violence menée par l’État islamique contre les membres de RBSS et d’autres journalistes syriens.
3. Irak
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 34
Restés impunis : Milices, État islamique, responsables gouvernementaux. Plus de la moitié des meurtres commis au cours dix dernières années ont eu lieu à ou aux environs de Mossoul
Menacés de meurtre : Journalistes locaux couvrant la culture, l’actualité politique, la guerre, la corruption et les droits de l’homme
Progrès : L’année dernière, l’Irak est passé de la troisième à la deuxième place du classement de l’indice. Le nombre de meurtres de journalistes a baissé depuis le milieu des années 2000, lorsque la violence sectaire était à son comble.
Entrave : L’Irak n’a pas engagé des poursuites contre un seul assassin de journalistes. Le meurtre de Kawa Garmyane en 2013 au Kurdistan, est le seul cas où des suspects ont été reconnus coupables ; le commanditaire de l’assassinat est toujours en liberté. Outre les meurtres et les enlèvements perpétrés par l’État islamique depuis quelques années, les milices chiites mobilisées pour combattre le groupe terroriste menacent également les journalistes en toute impunité.
Cas illustratif : En janvier 2016, le journaliste de radiotélévision Saif Talal et son collègue, le caméraman Hassan al-Anbaki, roulaient dans la province de Diyala en Iraq de l’est, lorsque des tireurs non identifiés ont intercepté leur véhicule, les ont forcés à sortir de la voiture et les ont abattus. Al-Sharqiya, la chaîne de télévision pour laquelle ils travaillaient, a accusé « l’une des milices non contrôlées » d’avoir commis le meurtre.
4. Soudan du Sud
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 5
Restés impunis : Inconnus
Menacés de meurtre : Journalistes locaux couvrant l’actualité politique et la guerre
Progrès : Aucun
Entrave : Dans les cinq cas de meurtres de journalistes documentés par le CPJ, aucun coupable n’a été identifié et encore moins condamné. Dans un tel climat d’impunité, des journalistes ont été détenus, harcelés et agressés physiquement, outre ceux qui ont été tués dans des tirs croisés. Plusieurs journalistes ont été assassinés pour des raisons que le CPJ n’a pas pu relier à leur travail, telles que les conflits ethniques. Le Soudan du Sud n’a jamais répondu à la demande de l’UNESCO concernant l’état d’avancement de la procédure judiciaire relative aux meurtres dans ce pays.
Cas illustratif : En janvier 2015, des coups de feu ont été tirés sur cinq journalistes, qui ont été ensuite attaqués avec des machettes avant d’être brûlés, lors d’une embuscade dans l’État de Bahr el-Ghazal occidental. Les journalistes voyageaient dans un convoi politique.
5. Philippines
Journalistes assassinés en toute impunité au cours de la dernière décennie : 42
Restés impunis : Responsables gouvernementaux
Menacés de meurtre : Journalistes locaux opérant en dehors de la capitale couvrant l’actualité politique, la corruption, les affaires et la criminalité
Progrès : Les Philippines sont passées à un rang inférieur par rapport à l’indice de l’année passée. En octobre 2016, Le Président Rodrigo Duterte a mis sur pied le groupe de travail présidentiel sur la sécurité des médias, qui comprend une équipe d’enquêteurs et de procureurs chargés d’examiner les nouveaux cas de meurtres de journalistes. La commission a annoncé des enquêtes sur plusieurs meurtres, mais aucune condamnation n’a été prononcée. Entretemps deux personnes, y compris un ancien policier, ont affirmé que Duterte avait ordonné le meurtre de Juan Pala, journaliste d’une radio locale en 2003, lorsque Duterte était maire de Davao. Duterte a nié toute implication dans ce crime.
Entraves : Un meurtre est intervenu depuis l’indice précédent : le journaliste Joaquin Briones a été abattu. La justice est bloquée pour les 32 journalistes et professionnels des médias assassinés dans le massacre de Maguindanao en 2009. Trois (parmi des dizaines) de suspects ont été acquittés cette année au mois de juillet, pour insuffisance de preuve. Selon les informations de la presse, la Cour d’appel régionale a en outre accueilli la demande de mise en liberté provisoire formulée par Datu Sajid, l’un des principaux suspects.
Cas illustratif : En avril 2014, deux hommes armés sont entrés chez la journaliste Rubylita Garcia et l’ont abattue à coups de balles. Elle est décédée à l’hôpital peu de temps après. Garcia s’était attachée à dénoncer les actions répréhensibles au sein de la police dans la province de Cavite. Un agent de police supérieur a été désigné par le ministère de la Justice comme suspect principal, mais personne n’a été poursuivi.
6. Mexique
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 21
Restés impunis : Groupes criminels tels que des trafiquants de drogues
Menacés de meurtre : Journalistes locaux couvrant la criminalité et la corruption dans les États dominés par des cartels
Progrès : La justice partiale a été obtenue en mars 2017, lorsque le chef des forces policières Santiago Martinez a été condamné à 30 ans de prison pour le meurtre du journaliste Marcos Hernández Bautista en 2016. Le commanditaire du meurtre n’a pas été poursuivi. Au mois de mai, le Président Enrique Peña Nieto s’est engagé lors d’une réunion avec une délégation du CPJ à donner la priorité à la lutte contre l’impunité des meurtriers de journalistes. Par la suite, il a remplacé le procureur spécial pour les crimes contre la liberté d’expression, chargé d’enquêter sur les meurtres de journalistes. Cette mesure a suivi la publication du rapport spécial du CPJ intitulé ‘No excuse‘, (« Sans excuse ») qui demande au gouvernement de faire plus d’efforts pour briser le cycle de la violence au Mexique.
Entrave : En 2017, au moins quatre journalistes ont été assassinés en relation avec leur travail.
Cas illustratif : Le 15 mai 2017, le journaliste d’investigation Javier Valdez Cárdenas a été traîné hors de sa voiture et abattu à Culiacán dans l’État de Sinaloa. Valdez, à qui le CPJ avait décerné le Prix international de la liberté de la presse en 2011, avait consacré sa vie à raconter l’histoire des victimes de la guerre de la drogue au Mexique. FEADLE, le Bureau du Procureur spécial chargé des atteintes à la liberté d’expression, a pris en main le dossier, mais personne n’a été arrêté.
7. Pakistan
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 21
Restés impunis : Militants islamiques, agences militaires, services de renseignement, partis politiques, groupes criminels
Menacés de meurtre : Journalistes locaux couvrant la guerre, l’actualité politique, la corruption et les droits de l’homme
Progrès : Le CPJ n’a pas confirmé de meurtre de journaliste lié à son travail depuis 2015, bien que plusieurs journalistes aient été victimes d’agressions non fatales ou de meurtres que le CPJ n’a pas pu lier au journalisme.
Entrave : Seuls les auteurs de deux meurtres qui ont eu lieu au cours de la dernière décennie ont fait l’objet de poursuites pénales. Une enquête rouverte l’année dernière concernant le meurtre du journaliste Shan Dahar le jour de l’an 2014, semble stagner. Un projet de loi sur « Le bien-être et la protection des journalistes » passe par un processus de consultation élargie mais la Pakistan Press Foundation indépendante l’a critiqué de n’avoir pas inclus de mesures pour lutter contre l’impunité lors d’attaques contre les médias.
Cas illustratif : En avril 2014, deux hommes armés non identifiés ont fait irruption dans les bureaux de l’agence de presse indépendante Online International News Network à Quetta, la capitale de la province de Baloutchistan et ont abattu le chef de bureau Irshad Mastoiet le journaliste stagiaire Ghulam Rasool. Selon sa famille et ses collègues, Mastoi aurait été menacé avant l’attaque par divers acteurs, notamment des groupes sectaires et militants et le personnel de sécurité. Des journalistes locaux dans les zones tribales sous administration fédérale (Federally Administered Tribal Areas/FATA), les provinces de Khyber Pakhtunkhwa et de Baloutchistan, travaillent sous la pression exercée par de nombreux acteurs : les groupes pro-talibans, les forces de sécurité et les services de renseignement pakistanais, les séparatistes, et les milices anti-séparatistes parrainées par le gouvernement. Plus de deux tiers des meurtres au Pakistan inclus dans cet indice sont intervenus dans ces régions.
8. Brésil
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 15
Restés impunis : Responsables gouvernementaux, groupes criminels
Menacés de meurtre : Journalistes couvrant l’actualité politique et la corruption en dehors des villes principales.
Progrès : Pour la première fois depuis 2009, le CPJ n’a pas enregistré de nouveaux meurtres de journalistes au Brésil, ce qui pourrait indiquer que les efforts intensifiés de lutte contre l’impunité – au cours des quatre dernières années le Brésil a condamné des suspects dans six cas – ont un impact sur l’impunité.
Entrave : S’il y a moins de meurtres de journalistes, les poursuites sont également moins nombreuses. Depuis 2015, lorsque l’homme armé qui avait assassiné le photographe Walgney Assis de Carvalho et le journaliste Rodrigo Neto avait été condamné, plus personne n’a été inculpé pour le meurtre d’un journaliste.
Cas illustratif : Gleydson Carvalho a été abattu dans son studio de radio lorsqu’il présentait son émission de l’après-midi en avril 2015. Avant son meurtre, Carvalho, connu pour l’attitude critique qu’il avait adoptée dans ses émissions à l’égard de la police et des politiciens locaux, notamment le maire, avait reçu des menaces de mort. Cinq suspects, y compris le tireur présumé, ont été arrêtés mais n’ont pas été traduits en justice. Le commanditaire présumé du meurtre est toujours en liberté.
9. Russie
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 9
Restés impunis : Responsables gouvernementaux, groupes politiques
Menacés de meurtre : Journalistes couvrant la corruption, les droits de l’homme, l’actualité politique et la guerre
Progrès : Des suspects ont été condamnés dans trois cas de journalistes assassinés au cours de la dernière décennie, mais ce n’est que dans le cas d’Anastasiya Baburova, abattue par balles en 2009, que le commanditaire du meurtre a été identifié et traduit en justice.
Entrave : En 2017 au moins deux journalistes, Dmitry Popkov et Nikolai Andrushchenko, ont été assassinés en représailles pour leur travail de journalisme, mettant ainsi fin à une accalmie de près de trois ans au cours de laquelle le CPJ n’avait pas enregistré d’assassinats ciblés.
Cas illustratif : Natalya Estemirova, contributrice au journal indépendant Novaya Gazeta et militante pour Memorial, un groupe de défenseurs des droits de l’homme basé à Moscou, a été enlevée près de son domicile à Grozny, en Tchétchénie le matin du 15 juillet 2009. Quelques heures plus tard, son corps a été retrouvé sur le bas-côté d’une autoroute ; elle avait été tuée d’une balle dans le cœur et dans la tempe. Estemirova dénonçait inlassablement les violations des droits de l’homme commises par les autorités fédérales et régionales en Tchétchénie. Personne n’a été traduit en justice pour son meurtre, et l’enquête stagne depuis 2013.
10. Bangladesh
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 7
Restés impunis : Membres de groupes extrémistes et criminels
Menacés de meurtre : Blogueurs laïcs, journalistes rendant compte du trafic de drogues
Progrès : En novembre de l’année dernière, la presse rapporte que la police a arrêté un membre du groupe militant Ansarullah Bangla Team, qui a reconnu avoir participé au meurtre de deux blogueurs laïcs, Niloy Neel et Faisal Arefin Dipan. Depuis 2015, plusieurs suspects ont été détenus en relation avec les attaques brutales contre les blogueurs et les éditeurs laïcs.
Entrave : C’est seulement dans le cas d’Ahmed Rajib Haider, qui avait été tué à coups de machette en 2013, que les assassins ont été reconnus coupables de meurtre.
Cas illustratif: En 2015, deux agresseurs ont poignardé et tué à coups de machette le blogueur Avijit Roy alors qu’il sortait d’une foire aux livres organisé sur le campus de l’université de Dacca. L’épouse de Roy a été grièvement blessée dans l’attaque. Roy, un citoyen naturalisé américain, originaire du Bangladesh, écrivait des blogs sur des questions laïques notamment l’athéisme et la liberté d’expression. Malgré de nombreuses pistes et arrestations, personne n’a été poursuivi.
11. Nigeria
Journalistes tués en toute impunité au cours des dix dernières années : 5
Restés impunis : Le groupe extrémiste Boko Haram ; assaillants inconnus
Menacés de meurtre : Journalistes locaux couvrant la guerre, l’actualité politique, les droits de l’homme
Progrès : Aucun
Entrave : Plusieurs attaques non mortelles et arrestations de journalistes ont eu lieu cette année. En juin, l’éditeur Charles Otu a été enlevé et battu par des malfrats qui l’ont intimé d’arrêter d’écrire des articles critiques sur le gouvernement d’Ebonyi.
Cas illustratif : Boko Haram a revendiqué la responsabilité pour le meurtre le 11 octobre de Zakariya Isa, qui était journaliste et cameraman à la Nigeria Television Authority (NTA).
12. Inde
Journalistes assassinés en toute impunité au cours de la dernière décennie : 13
Restés impunis : Groupes criminels et politiques ; responsables gouvernementaux
Menacés de meurtre : Journalistes ruraux ou basés dans les petites villes qui font des reportages sur la corruption, la criminalité et l’actualité politique au niveau local
Progrès : En avril l’état de Maharashtra en Inde a promulgué une loi prévoyant des sanctions plus sévères pour les incidents de violence contre les journalistes et les organes de presse. Selon la Fédération internationale des journalistes, la nouvelle loi prévoit que les hauts fonctionnaires de la police sont tenus de mener des enquêtes sur les actes de violence contre les journalistes et de définir de telles attaques comme un délit non susceptible de caution.
Entrave : Tous les meurtres de journalistes en Inde documentés par le CPJ ont été commis en toute impunité. Le 5 septembre 2017, après que la période de recherche pour cet indice soit clôturée, la journaliste indépendante Gauri Lankesh a été abattue devant sa maison à Bangalore. L’Inde n’a jamais répondu à la demande de l’UNESCO concernant l’état d’avancement de la procédure judiciaire relative aux meurtres dans ce pays.
Cas illustratif : Umesh Rajput, un journaliste travaillant pour le quotidien hindi Nai Dunia, a été abattu le 23 janvier 2011 devant son domicile dans le village de Chhura près du district de Raipur dans l’État central de Chhattisgarh. Le journaliste âgé de 33 ans faisait des reportages sur les allégations de négligence médicale et les allégations selon lesquelles le fils d’un politicien était impliqué dans des jeux d’argent illégaux. Six ans plus tard, personne n’a été arrêté pour le meurtre de Rajput.
Méthode
L’indice de l’impunité du CPJ calcule le pourcentage des meurtres de journalistes restés impunis par rapport à la population de chaque pays. Pour cet indice, le CPJ a fait une analyse des meurtres de journalistes qui se sont produits dans la période du 1er septembre 2007 au 31 août 2017, et qui demeurent non élucidés. Seuls les pays ayant enregistré au moins cinq cas non élucidés sont inclus dans cet indice. Le CPJ définit le meurtre comme une attaque délibérée contre un journaliste particulier, en représailles au travail de la victime. Selon des recherches menées par le CPJ, les meurtres représentent près des deux tiers des décès liés au travail des journalistes. Cet indice n’inclut pas les cas de journalistes tués dans des combats ou au cours de missions dangereuses, telle que la couverture de manifestations de rue. Les cas sont considérés comme impunis lorsque aucune condamnation n’a été obtenue. Les cas dans lesquels certains mais pas tous les suspects ont été condamnés sont considérés comme constituant une impunité partiale. Les cas dans lesquels les auteurs présumés ont été tués lors de leur appréhension sont également considérés comme constituant une impunité partiale. L’indice analyse uniquement les meurtres qui ont été perpétrés dans une impunité totale ; il n’inclut pas les cas où une justice partiale a été appliquée. Les données démographiques issues des Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale en 2016 ont été utilisées pour calculer le taux de chaque pays.
Tableau statistique
Classement | Pays | Cas non-élucidés |
Population (en millions)* |
Taux | Évolution |
---|---|---|---|---|---|
1 | Somalie | 26 | 14,3 | 1,816 | Baisse de 18,4% |
2 | Syrie | 17 | 18,4 | 0,922 | Augmentation de 0,3% |
3 | Irak | 34 | 37,2 | 0,914 | Baisse de 53,1% |
4 | Soudan du Sud | 5 | 12,2 | 0,409 | Augmentation de 0,1% |
5 | Philippines | 42 | 103,3 | 0,407 | Aucun changement |
6 | Mexique | 21 | 127,5 | 0,165 | Aucun changement |
7 | Pakistan | 21 | 193,2 | 0,109 | Baisse de 2,1% |
8 | Brésil | 15 | 207,7 | 0,072 | Aucun changement |
9 | Russia | 9 | 144,3 | 0,062 | Aucun changement |
10 | Bangladesh | 7 | 163,0 | 0,043 | Aucun changement |
11 | Nigeria | 5 | 186,0 | 0,027 | Aucun changement |
12 | Inde | 13 | 1 324,2 | 0,010 | Aucun changement |
*Source : Données démographiques 2016 Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale http://data.worldbank.org
L’Indice de l’impunité du CPJ est compilé dans le cadre de la Campagne mondiale contre l’impunité, qui est rendue possible grâce au généreux soutien de la Fondation Leon Levy.
NOTE DE L’ÉDITEUR: Le troisième point a été corrigé pour refléter le nombre de pays figurant sur l’indice où de nouveaux meurtres ont eu lieu au cours de la dernière année.
Elisabeth Witchel, consultante du CPJ, a travaillé pendant de nombreuses années comme coordinatrice du programme d’assistance aux journalistes au sein de l’organisation. Elle a également lancé la Campagne mondiale contre l’impunité pour les meurtres de journalistes organisée par le CPJ.