Les agences exploitent la moindre faille pour se soustraire aux exigences de divulgation
Par Jason Leopold
Le 13 décembre 2016, j’ai engagé des poursuites en vertu de la Freedom of Information Act, ou loi pour la liberté d’information, à l’encontre du FBI dans le but d’obtenir un large éventail de documents portant sur une série de décisions très controversées prises par le bureau dans les semaines précédant l’élection présidentielle américaine qui, selon des législateurs démocrates et des supporters d’Hillary Clinton, auraient fait basculer une partie de son soutien en faveur de son opposant, Donald Trump.
Plus précisément, le directeur du FBI, James Comey, a envoyé une lettre aux leaders du Congrès 10 jours avant l’élection pour les informer que des enquêteurs de son agence avaient peut-être découvert de nouveaux e-mails en rapport avec son enquête sur le serveur de courrier électronique de Clinton et sa gestion d’informations classifiées. Un compte Twitter appartenant à la chambre forte du FBI, inactif depuis longtemps, a aussi été réactivé puis a tweeté, une semaine avant l’élection, de nouveaux documents portant sur la grâce accordée en 2000 par Bill Clinton au financier Marc Rich, sur lequel Comey avait enquêté lorsqu’il était procureur.
Le FBI essayait-il d’aider Trump à être élu ? Qui, dans le bureau, fuitait des détails sur ce qu’il se passait en coulisses au New York Times, au Wall Street Journal et dans d’autres organes de presse ? C’est ce que cherchait à déterminer l’action en justice que j’ai engagée en vertu de la FOIA en ma qualité de reporter de VICE News. L’objectif était d’accéder à des documents qui révèleraient des décisions qui ont conduit Comey à envoyer sa lettre au Congrès, et qui expliqueraient pourquoi le FBI avait tweeté les documents sur Rich. Mais je ne m’arrête pas là. Les poursuites que j’ai engagées visent aussi à découvrir tout ce que le FBI possède sur Breitbart News et son président, Stephen Bannon.
Bien que cette action en justice soit une réponse directe aux développements dramatiques survenus lors de l’élection présidentielle, elle met aussi en évidence la manière dont les agences gouvernementales entravent le flux d’informations publiques. Ma propre immersion dans la Loi américaine sur la liberté d’information a commencé il y a six ans, lorsque j’ai reçu un appel urgent de Mikey Weinstein, qui dirige un groupe à but non lucratif dont le travail consiste principalement à faire respecter la séparation de l’église et de l’État au sein de l’armée.
Weinstein m’a dit qu’il avait reçu une série de diapositives PowerPoint d’une source qu’il avait à l’armée de l’air américaine qu’il voulait partager avec moi. Il m’a dit que le contenu était explosif et que si j’étais intéressé, cela ferait une très bonne histoire. Je lui ai dit de me les envoyer.
Après avoir parcouru des dizaines de diapositives, je me suis vite rendu compte que ces documents étaient susceptibles d’intéresser les médias. Le document PowerPoint révélait que l’armée de l’air dispensait aux officiers chargés de missiles nucléaires une formation sur les règles d’éthique et de morale associées au lancement d’armes nucléaires qui s’appuyait sur les enseignements de Jésus Christ et de Werner Von Braun, fondateur du programme spatial contemporain et ancien soldat SS sous l’Allemagne nazi.
J’ai écrit un article à ce sujet, auquel j’ai intégré les documents, qui a ensuite été publié par Truthout.org. La réponse a été rapide et l’impact de taille. Mon histoire est devenue virale, a été reprise par d’autres organes de presse et en l’espace de 24 heures, a conduit l’armée de l’air à suspendre sa formation sur les règles d’éthique, qui, à l’époque, était en place depuis deux décennies. Deux jours plus tard, l’armée de l’air a retiré l’intégralité du matériel pédagogique.
L’histoire était évidemment tributaire de ce programme PowerPoint. La documentation est l’essence même d’un journaliste d’enquête, d’une part parce qu’elle permet d’étayer une histoire, et d’autre part parce que dans bien des cas, il n’y a pas d’histoire sans elle. Weinstein m’a dit plus tard que l’un de ses amis de l’armée de l’air avait utilisé la loi pour la liberté d’information, communément appelée la FOIA, pour obtenir les diapositives PowerPoint auprès de l’armée de l’air, qui, par la suite, a vérifié leurs authenticité à ma demande. Son appel téléphonique m’a non seulement donné une exclusivité, mais il a aussi marqué le début de mon odyssée professionnelle qui a depuis permis de produire une foule de documents importants.
L’expérience avec les diapositives PowerPoint sur l’armée de l’air a été une révélation pour moi. Cela faisait des années que je réalisais des reportages sur la sécurité nationale, mais j’avais de plus en plus de mal à obtenir des informations sur ce sujet auprès d’une administration très secrète et qui se montrait très virulente dans sa chasse aux fuites dans la presse. Et pourtant, une circulaire du Président de l’époque Barack Obama, émise le jour même de sa prise de fonction, promettait d’inaugurer une nouvelle ère de transparence et de gouvernement ouvert, et ordonnait aux chefs des départements exécutifs et des agences de « divulguer l’information rapidement ».
Étant donné que la FOIA a été l’un des mécanismes clés pour obtenir des documents auprès d’une agence fédérale dans le cas de l’armée de l’air, j’ai décidé de tenter ma chance avec d’autres histoires.
Les lois américaines sur l’accès libre aux documents publics constituent la norme mondiale, et plusieurs autres pays considèrent les États-Unis comme un exemple. Cependant, alors que j’approfondissais la question, j’ai découvert une tendance contraire : des agences gouvernementales qui semblent décidées à me laisser — et le public — dans l’ignorance, souvent en contournant les exigences de transparence par ce qui s’apparente à une censure bureaucratique, malgré les directives émises par la hiérarchie et les lois fédérales et d’État sur la transparence.
Cette même tendance est en train de se développer dans d’autres pays. Selon une étude de l’Associated Press réalisée en 2011 (résumée dans un billet de blog du CPJ), dans le cadre de laquelle l’agence de transmission a déposé des demandes d’accès libre à des documents auprès de 105 pays dotés de lois sur la liberté d’information, seule une poignée — 14 –a répondu dans les délais impartis par la loi. Trente-huit autres pays ont fini par répondre à la plupart des questions que leur a posées l’agence de transmission et par communiquer des données à l’AP. L’analyse réalisée par l’AP a révélé qu’en moyenne, les démocraties plus jeunes étaient beaucoup plus réceptives que les plus anciennes, mais ceci dit, plus de la moitié des pays n’ont jamais transmis aucun document et les trois quarts n’ont même pas accusé réception des demandes de l’AP.
Aux États-Unis, tandis que les agences de l’échelon fédéral à local s’adaptent aux exigences de transparence, bon nombre d’entre elles ont élaboré des solutions de rechange — en imposant des frais exorbitants, de mystérieux obstacles bureaucratiques et des exceptions discrétionnaires pour refuser l’accès à des documents essentiels pour élucider des histoires importantes. Lorsqu’un journaliste a épuisé tous ses appels, il n’a guère d’autre recours que l’action en justice, qui représente un obstacle de taille pour les pigistes qui n’ont habituellement pas les moyens de s’offrir une longue bataille juridique.
La situation d’aujourd’hui se démarque considérablement de l’expérience que j’ai vécue avec l’histoire de l’armée de l’air. En 2011, Weinstein m’a mis en relation avec son ami de l’armée de l’air qui m’a donné un cours intensif sur la manière de déposer des demandes au titre de la FOIA pour qu’elles aient une chance d’aboutir, et j’ai aussi étudié la loi vielle de cinquante ans, la réglementation spécifique des agences relative à la FOIA ainsi que leurs systèmes d’archivage où se trouvaient probablement les documents que je cherchais. J’ai étudié la façon de convaincre les agences d’expédier mes demandes (c.-à-d. les faire passer sur le haut de la pile) et d’obtenir des dispenses de frais. Entre 2011 et 2012, j’ai déposé plus de 500 demandes au titre de la FOIA portant sur un grand éventail de sujets, tels que le programme d’assassinats ciblés de la CIA, le traitement des détenus à Guantanamo et ce qui ressemblait à une opération de surveillance et de suivi d’activistes des droits civiques menée par le FBI. J’ai appris de mon mentor de l’armée de l’air qu’en accumulant les demandes dès le début, je recevrais ensuite un flux continu de documents, peut-être plusieurs fois par semaine (et tout aussi fréquemment, de gros scoops) une fois que les agences seraient parvenues à traiter mes demandes et à produire les documents en question.
J’ai aussi commencé à remarquer que souvent, les agences ne respectent pas la loi à la lettre, ce qui est une pratique de plus en plus répandue aujourd’hui. Bien que le dépôt de demandes au titre de la FOIA ait permis à des documents importants de voir le jour, il devient de moins en moins pratique en raison des frais et des retards bureaucratiques qui peuvent, dans certains cas, durer des années.
La FOIA exige qu’une agence se prononce sur l’accès aux documents dans un délai de 20 jours ouvrables, avec un délai supplémentaire de 10 jours ouvrables en cas de « circonstances inhabituelles ». Malheureusement, très peu de demandes au titre de la FOIA sont traitées dans le délai prescrit par la loi, et les réponses tardives représentent un problème majeur pour les journalistes d’enquête. L’information recherchée peut perdre de sa valeur avec le temps, comme par exemple une information sur un candidat qui aura moins d’intérêt pour les médias après l’élection, ou une information sur une guerre qui sera moins pertinente après la fin du conflit. Souvent, la lenteur de l’information vaut déni d’information.
Pour compliquer les choses, les agences ont une vision assez étroite des circonstances qui méritent d’expédier le traitement des demandes au titre de la FOIA. Par exemple, l’Agence du renseignement de la défense a refusé en 2013 d’expédier le traitement de ma demande d’accès à des documents sur les effets nuisibles des révélations d’Edward Snowden sur la sécurité nationale, alors qu’il s’agissait d’une question de grand intérêt public. Et même lorsque le traitement d’une demande est expédié, le processus est lent. En 2014, j’ai déposé une demande au titre de la FOIA auprès du Département de justice pour obtenir des documents liés à son enquête sur des allégations selon lesquelles la CIA avait accédé, sans autorisation, aux ordinateurs de membres du personnel de la Commission du renseignement du Sénat. Bien qu’il ait accepté d’expédier le processus, le département a décidé de ne divulguer aucun document avant le 29 janvier 2016. Une fois dévoilés, ces documents pour le moins éloquents ont eu un impact de taille. L’article de 9 000 mots qui s’en est suivi a demandé des mois d’enquête et de rédaction. Il portait essentiellement sur des allégations selon lesquelles la CIA avait espionné des membres du personnel du Sénat qui enquêtaient sur le programme de torture. La sénatrice Dianne Feinstein fut la première à porter ces accusations à l’encontre de la CIA en mars 2014 lors d’un discours remarquable. À cette époque, le directeur de la CIA, John Brennan, avait déclaré que les allégations de Feinstein étaient absurdes. S’en est suivie une dispute interminable — si épineuse qu’elle a presque conduit à une crise constitutionnelle –relayée dans les médias pendant une bonne partie de 2015.
Grâce aux efforts entrepris au titre de la FOIA, environ 500 pages de documents connexes ont été déclassifiés, révélant ainsi d’autres détails sur l’incident d’espionnage. Ils ont prouvé que Feinstein avait raison : la CIA a bel et bien espionné le travail des membres du personnel du Sénat et a violé un accord datant de 2009 entre l’agence et le comité. Il était par ailleurs suggéré dans ces documents qu’un rapport de la commission d’examen de l’obligation de rendre compte de la CIA, datant de janvier 2015, qui exonérait les employés de la CIA ayant accédé aux ordinateurs du Sénat, était un camouflage.
Parmi les documents se trouvait une lettre d’excuses que le directeur de la CIA Brennan avait adressée à Feinstein et à l’éminent républicain de la commission, le Sénateur Saxby Chambliss –une lettre que Brennan n’a jamais envoyée. Lorsque nous avons interrogé la CIA à propos de cette lettre, elle nous a dit qu’elle nous l’avait remise par erreur. L’agence nous a vivement déconseillé de la publier parce qu’elle était embarrassante. Nous avons rejeté cette demande. C’était l’une des rares gaffes commises par l’agence concernant la FOIA.
Notre reportage sur les documents de la CIA, agrémenté d’interviews réalisées avec des employés du Sénat et des membres de la commission, contenait aussi une nouvelle révélation explosive : une recherche effectuée sur Google par un employé de la commission du renseignement du Sénat a été à l’origine de l’intrusion de la CIA dans les ordinateurs de la commission. Notre reportage d’enquête sur l’un des affrontements les plus controversés ayant trait à la surveillance depuis des décennies aux États-Unis a suscité un débat national sur la séparation des pouvoirs et a conduit Feinstein et Senator Ron Wyden à appeler la CIA à rendre des comptes. Et c’est grâce à la FOIA que nous y sommes parvenus.
Il est important de noter que je n’aurais jamais obtenu ces documents si je n’avais pas porté l’affaire en justice. Les agences ont souvent ignoré la circulaire originale d’Obama et les directives officielles du procureur général de l’époque Eric Holder relatives à la FOIA, qu’il a envoyées aux directeurs des départements exécutifs et des agences. Les directives de Holder, qui figurent dans une circulaire datée du 19 mars 2009, ne pouvaient être on ne peut plus claires : « Une agence ne saurait refuser l’accès à l’information pour la simple raison qu’elle peut légalement le faire. J’encourage vivement les agences à procéder à des divulgations discrétionnaires de l’information. Une agence ne saurait refuser l’accès à des documents simplement parce qu’elle peut démontrer, sur un plan technique, qu’ils relèvent du champ d’application des exceptions au titre de la the FOIA. »
La question, bien sûr, est de savoir quelles directives seront émises par l’administration Trump, compte tenu de l’antipathie affichée par le Président envers la presse et du fait que les agences aient régulièrement ignoré les directives de son prédécesseur.
Dans bien des cas, les agences essayent de contrecarrer les demandes d’accès à l’information en invoquant l’Exception 5, ou (b) (5), aussi appelée l’exception « refusez parce que vous le pouvez ». L’exception 5 s’applique aux documents qui font partie du processus décisionnel en coulisse — appelé « délibératif » — et concerne l’ensemble des « circulaires ou lettres inter ou intra-agences ». Il s’agit d’une exception discrétionnaire à laquelle les agences gouvernementales sont libres de renoncer en faveur d’une divulgation, bien que ce soit rarement le cas. Ainsi, soit l’auteur de la demande reçoit des documents lourdement expurgés, soit l’accès aux documents est intégralement refusé. Les agences ont souvent invoqué l’Exception 5 pour dissimuler des méfaits en prétendant qu’il s’agissait de communications inter ou intra-agence. L’exemple le plus éloquent, peut-être, est lorsque la CIA a refusé la demande formulée par les Archives de la sécurité nationale visant à accéder à une ébauche de volume de la Baie des Cochons datant de 30 ans, alors que quatre autres volumes avaient été précédemment déclassifiés sans que cela ne porte atteinte à la sécurité nationale ou aux délibérations au sein du gouvernement. La CIA a ajouté, bizarrement, que la publication de ce volume « sèmerait la confusion dans l’esprit du public » quant à savoir si le document reflétait l’histoire officielle de la CIA.
Un autre problème récurrent auquel sont confrontés les journalistes est l’invocation de l’Exception 7(A) par le FBI. En vertu de cette exception, une agence peut refuser l’accès aux « documents ou informations » compilés à des fins d’application de la loi qui « risqueraient vraisemblablement d’entraver les procédures d’exécution ». Cette exception est souvent invoquée dans mon travail parce que je demande souvent d’accéder à des documents ou à des informations sur des événements récents.
Le Congrès a délibérément choisi les mots « documents ou informations » lorsqu’il a modifié l’Exception 7 en 1974 en vue d’écarter une exception générale applicable aux dossiers d’enquête compilés à des fins d’application de la loi. Le problème, c’était qu’il suffisait à ces agences de mettre les documents qu’elles ne voulaient pas divulguer à l’intérieur d’un dossier d’enquête, puis de considérer le document comme exempté en raison de son emplacement. De cette façon, les agences ont réussi à contourner les exigences de transparence.
En dépit de l’intention manifeste du Congrès et du libellé clair de la modification de la FOIA en 1974, le FBI continue à refuser l’accès à l’information lorsque le document demandé « se trouve dans un dossier d’enquête qui est exempté des obligations de divulgation conformément à 5 U.S.C. 552(b) (7) (A) » (Titre 5, section 552(b) (7) (A) du Code des États-Unis). J’ai reçu des dizaines de lettres de rejet du FBI reposant sur l’interprétation erronée de la FOIA, et le bureau de la politique de l’information du Département de justice a confirmé la décision du FBI dans chaque recours que j’ai formulé. Le FBI de ne défend pas sa position devant les tribunaux ; au lieu de cela, il procède à un nouvel examen en appliquant la norme appropriée une fois que l’action en justice a été engagée. Par conséquent, l’affaire devient caduque. Autrement dit, le FBI recherchera des documents dissociables contenus dans un dossier d’enquête à condition que vous le poursuiviez d’abord en justice.
Les journalistes, et notamment les pigistes qui disposent de fonds limités, se plaignent aussi souvent, à propos de la FOIA, que les agences facturent des frais astronomiques dans le but de dissuader les demandeurs de déposer des demandes et d’obtenir des documents. Cette pratique est monnaie courante dans les États et très difficile à surmonter. En 2014, par exemple, j’ai demandé à des responsables de la ville de Ferguson, Missouri, d’accéder à des e-mails qui évoquaient ou faisaient allusion au décès de l’adolescent afro-américain non armé, Michael Brown. La secrétaire de mairie m’a dit que je devrais payer d’avance 2 000 USD pour lancer la recherche des documents, puis que je paie les honoraires du procureur de la ville chargé d’examiner et d’expurger les e-mails en question. Elle essayait de toute évidence de me dissuader d’accéder aux documents publics. J’ai dit à la secrétaire que compte tenu de l’attention généralisée que les médias portaient à l’affaire Brown, la divulgation de ces documents était dans l’intérêt public, et qu’en tant que journaliste, je devrais pouvoir prétendre à une dispense de frais. J’ai déposé un recours concernant les frais exorbitants auprès de la secrétaire de mairie de la ville de Ferguson, Megan Asikainen. Elle m’a informé par e-mail que mon recours avait été rejeté « parce que les frais sont nécessaires dans le but de fournir les documents que vous avez demandés ». Autrement dit, peu importe si je voulais informer le public. Elle a ajouté que la somme de 2 000 USD « reposait sur une estimation des coûts de planification de la ville liés à l’étendue de la demande et au temps de recherche des documents susceptibles de répondre à la demande ».
Par conséquent, l’organe de presse pour lequel je travaille, VICE News, a accepté de signer un chèque à la ville pour la prendre à son propre mot. Une fois les recherches terminées, nous n’avons obtenu que sept e-mails qui présentaient néanmoins un intérêt pour les médias car ils révélaient que les policiers de la ville se considéraient comme des victimes. Les policiers ont déclaré qu’ils craignaient que les gens de la communauté « veuillent leur peau », et qu’ils avaient du « mal » à gérer les médias.
À l’échelon fédéral, les journalistes croient, à tort, qu’il suffit de déposer une demande au titre de la FOIA et de dire « je suis journaliste » pour être dispensé de frais. Mais lorsque les dispenses de frais sont rejetées, c’est généralement parce qu’un journaliste a omis d’indiquer, dans sa demande originale, la manière dont il compte utiliser les documents et n’a pas démontré que cette divulgation est « susceptible d’aider, dans une large mesure, le public à mieux comprendre les opérations et les activités du gouvernement ». Il appartient au/à la journaliste d’expliquer dans sa demande pourquoi il ou elle devrait prétendre à une dispense de frais et qu’il/elle a la capacité de transmettre l’information à un vaste segment du public. Trop souvent, les journalistes baissent les bras lorsqu’on leur dit que les documents qu’ils cherchent coûtent des centaines ou des milliers de dollars. La FOIA prévoit un recours en cas de refus de dispense de frais, et, d’après mon expérience, les dispenses sont généralement accordées lorsque vous prenez le temps de répondre à ces questions. Mais le délai est inévitablement prolongé, ce qui peut affecter la valeur informative de l’histoire.
Même quand un journaliste fait preuve de la plus grande diligence pour déposer une demande au titre de la FOIA, les tergiversations de l’agence font souvent échec à sa tentative d’obtenir les documents lorsqu’il en a le plus besoin. Dans la plupart des cas, une action en justice a pour effet de faire passer la demande sur le haut de la pile et débouche souvent sur la divulgation des documents. C’est en tout cas ce que j’ai pu constater au cours des six dernières années. Cependant, tous les journalistes d’enquête ne disposent pas des ressources nécessaires pour engager des poursuites au titre de la FOIA, et même les grands organes de presse se disent parfois que les frais de procédure dépassent de loin les avantages procurés par les documents.
Ce qui veut dire qu’en dépit des directives spécifiques émises par l’ancien Président et l’ancien procureur général, et des efforts de transparence consentis au niveau du Congrès et des législatures d’État, les agences du Département de la défense jusqu’au bureau local du secrétaire de mairie trouvent toujours plus de moyens de mettre les règles au service de la censure de fait. Compte tenu que les États-Unis sont la référence en matière d’accessibilité des documents publics, cela est décourageant et empêche certainement d’exposer d’autres histoires éloquentes.
Pourtant, la situation n’est pas désespérée. Début 2016, quelques semaines avant le 50e anniversaire de la promulgation de la loi pour la liberté d’information, le Congrès a adopté une mesure législative visant à réformer la loi qui a ensuite été promulguée par le Président Obama. Cette nouvelle loi est censée faciliter l’accès des journalistes, des historiens et du grand public aux documents en obligeant les agences gouvernementales à être plus transparentes. Le projet de loi codifiera la circulaire présidentielle originale d’Obama demandant à toutes les agences gouvernementales « d’adopter une présomption en faveur de la divulgation, afin de réitérer leur attachement aux principes consacrés par la FOIA, et d’inaugurer une nouvelle ère de gouvernement ouvert ».
Plus important encore, le projet de réforme a permis de remanier l’Exception 5, l’exception « refusez parce que vous le pouvez ». Lorsque les agences gouvernementales invoquent B5, qui s’applique uniquement aux délibérations internes, elles peuvent refuser indéfiniment l’accès aux documents en application de cette exception. Mais en vertu de la nouvelle loi, les agences fédérales peuvent uniquement refuser l’accès aux documents relatifs aux délibérations internes pendant 25 ans. Pour les historiens, c’est un changement significatif. Les agences gouvernementales sont tenues de publier de nouvelles réglementations expliquant la manière dont elles comptent mettre en œuvre les nouvelles réformes de la FOIA, ce qu’elles sont en train de faire. Mais le projet de loi ne prévoit aucun financement supplémentaire pour aider les agences gouvernementales à mener à bien ces réformes. Cela veut dire que les retards interminables ont de beaux jours devant eux et que les agences essaieront à coup sûr d’exploiter les failles pour maintenir le public dans l’ignorance.
Jason Leopold est reporter d’enquête à succès et correspondant pour BuzzFeed où il couvre les questions de sécurité nationale.