Heba Alshibani n’avait pas prévu de devenir journaliste. Elle pensait emprunter le chemin d’une carrière universitaire, comme l’avaient fait de nombreux membres de sa famille libyenne avant le soulèvement de février 2011 qui a entraîné le renversement de Mouammar Kadhafi. Mais lorsque les violences se sont poursuivies après la chute du dictateur, Alshibani a assisté à des évènements dont elle s’est sentie obligée de témoigner et qu’elle a voulu partager. Elle n’était pas formée au journalisme, mais elle avait un penchant pour dénoncer les « méfaits » comme elle le dit elle-même, et elle ressentait un besoin presque instinctif de les mettre au jour.
Alshibani a donc commencé à documenter la violence dans la rue avec son téléphone portable, puis elle s’est rapidement mise à partager ses vidéos avec les médias locaux. Cela a conduit d’autres organes de presse à se servir de ses reportages, et au bout de deux ans, elle s’était hissée de présentatrice à responsable au sein de la production télévisée libyenne et avec Reuters Libye.
Son ascension l’a amenée à prendre des risques dans un monde des médias restrictif depuis des dizaines d’années, surtout pour les femmes. « Lorsque je dirigeais une émission sur les problèmes relatifs aux femmes, j’abordais des sujets dont on ne discute jamais dans les foyers libyens, comme le viol, s’est-t-elle récemment remémoré chez elle à Malte, où elle travaille comme présentatrice pour une chaîne libyenne. Je n’allais pas animer une émission sur le ménage étant donné les temps [difficiles] que le pays traversait. »
Mais le vent a vite tourné pour Alshibani.
Certaines figures politiques libyennes n’ont pas apprécié sa « franchise », a-t-elle dit. En 2014, elle s’est sentie obligée de fuir après que l’une de ces figures lui a transmis un message de menaces par l’intermédiaire d’un collègue journaliste à Misrata, l’avertissant de partir ou de subir des conséquences. Pour des raisons de sécurité, elle a refusé de divulguer le nom de ce fonctionnaire, a-t-elle expliqué, mais elle a fait ce qu’on lui a intimé, sous l’égide de Reuters. Elle couvre maintenant l’actualité libyenne depuis l’étranger, comme de nombreuses autres femmes journalistes qui ont quitté ce pays suite à la constante instabilité et au conflit culturel profond qui leur confère un profil dangereusement visible.
Pendant la lutte de quatre ans entre les factions rivales pour gagner le contrôle du paysage politique postrévolutionnaire de la Libye, les femmes journalistes ont pris pleinement conscience de leur visibilité. Rendre compte de l’actualité dans ce pays instable est un défi pour n’importe qui, mais particulièrement pour les femmes, en raison des valeurs culturelles profondément ancrées quant au rôle des genres et des efforts des factions rivales pour pousser les médias à prendre parti -surtout les organes de presse locale.
Les restrictions imposées à l’encontre de la presse pendant l’ère de Kadhafi sont maintenant allégées, et les publications imprimées ainsi que les chaînes de télévisions se multiplient depuis le soulèvement. Toutefois, parmi les femmes journalistes interrogées dans le cadre de cet article (et dont beaucoup ont demandé l’anonymat par crainte des répercussions) pour savoir si le départ de Kadhafi a profité au journalisme en Libye, ou si les femmes ont plus d’opportunités, ou si elles sont actuellement traitées sur un pied d’égalité en tant que professionnelles, il n’existe pas de consensus. Le gouvernement de Kadhafi limitait les médias au nom de l’ordre et de la stabilité, et depuis sa chute, ils ont été privatisés et se sont ouverts à une plus grande diversité d’opinions. L’inconvénient est que la diversité des voix peut s’avérer incendiaire, et que les journalistes sont fréquemment manipulés ou ciblés par des factions rivales, une situation d’autant plus dangereuse que la sécurité fait défaut. Les rôles stratifiés des genres ne font qu’ajouter aux risques que courent les femmes journalistes.
La majeure partie des organisations humanitaires, des institutions de l’ONU et des bureaux des médias étrangers ont quitté la Libye pendant l’été 2014, lorsque les élections très contestées de juin ont entraîné de nouveaux affrontements entre les milices rivales. Peu de reporters occidentaux, qu’ils soient hommes ou femmes, y sont retournés.
La diminution de la couverture des actualités sur le terrain a créé un vide des médias, exploité par les factions rivales qui cherchent à récupérer le reste de la couverture. Écrivant pour le Comité pour la protection des journalistes dans l’édition 2015 « d’Attaques contre la presse », Fadil Aliriza a constaté que les faits en Libye postrévolutionnaire sont les « otages de la politique » en raison des récits contradictoires des factions rivales. « L’extrême polarisation du paysage des médias ainsi que les appels à la violence par leur biais et le harcèlement exercé sur les journalistes par les milices ont contribué à discréditer les quelques vrais journalistes restants qui tentent de rapporter les faits », écrivait alors Aliriza.
En avril 2015, Reporters sans frontières a rapporté que parmi les femmes journalistes ayant plus récemment fui la Libye, se trouvait Sirine El Amari, qui était correspondante pour France 24 à Tripoli, avant qu’elle ne doive partir en novembre 2014 suite à des menaces et à des interrogations répétées par les autorités à Tripoli au sujet de ses reportages.
Certains des défis auxquels les journalistes font face sur le terrain politique très fragmenté en Libye sont communs à beaucoup de zones de conflit, et la géographie ainsi que les alliances régissent souvent l’accès aux informations et affectent la sécurité personnelle des journalistes. Mais en Libye, toutes les parties semblent reconnaître l’importance de contrôler le discours des médias, et ont tendance à considérer les reporters et les photographes comme faisant partie intégrante du conflit, façonnant le discours, et dans certains cas, incitant à la prise de mesures. Les femmes journalistes représentent souvent des symboles forts, et elles rencontrent inévitablement des difficultés supplémentaires.
Même en Libye avant la révolution, être une femme reporter était considéré comme un « suicide social », d’après la journaliste Manal Bouseifi, qui a commencé à couvrir l’actualité pour un organe de presse étatique au début des années 2000, lorsque Kadhafi contrôlait les organes de presse. Bouseifi soutient que ce type d’attitudes envers les femmes journalistes, surtout celles qui choisissaient de couvrir la politique et l’actualité sérieuse, prévaut chez les factions conservatrices et même parmi beaucoup de Libyens ordinaires.
Comme dans beaucoup de pays après le printemps arabe, l’instabilité politique et la violence en Libye se réduisent souvent aux yeux des médias occidentaux à une lutte entre les groupes séculiers et les groupes islamistes. Même si la réalité est bien plus compliquée, il ne fait aucun doute que les médias sont souvent pris entre deux feux. Par conséquent, de nombreuses femmes journalistes se sont senties obligées de couvrir les troubles de la Libye depuis les pays voisins comme la Tunisie, l’Égypte, ou dans le cas d’Alshibani, Malte, qui sont considérés comme des refuges relativement sûrs dans la région, même si cela n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Par ailleurs, certaines de celles qui ont fui ont affirmé avoir cessé de rapporter l’information à cause des intimidations ou du manque d’accès direct au pays.
Alshibani, qui est membre d’une importante famille libyenne et qui est liée par alliance à un clan tout aussi puissant, s’est cachée dès le début de la révolution de 2011 par crainte des persécutions et des enlèvements. Pendant cette période, beaucoup de Libyens n’osaient même pas regarder les informations à la télévision par peur des représailles, a-t-elle expliqué. « Les gens se rassemblaient autour des télévisions et regardaient les informations avec le volume au plus bas », s’est-elle remémoré.
Aujourd’hui, les milices rivales et les entités gouvernementales en concurrence s’accordent rarement sur quoi que ce soit hormis l’importance de contrôler les médias, ce qui rend les enjeux considérables pour les journalistes, quel que soit leur sexe ou leur affiliation, mais surtout pour les femmes, qui se démarquent. En août 2013, le Guardian a rapporté qu’une journaliste avait été prise pour cible par des tireurs à Benghazi, la deuxième plus grande ville de Libye. Khawlija al-Amami, une présentatrice pour la station de télévision al-Ahrar, a été attaquée par des hommes armés qui ont tiré sur elle depuis leur voiture. Elle a par la suite reçu un SMS l’avertissant de « mettre fin à son journalisme » ou d’être assassinée. En avril 2015, le journaliste pour la télévision Muftah al-Qatrani a été tué par balle dans son bureau d’Al-Anwar, une société privée de production télévisuelle.
On estime que 1 700 groupes armés étaient actifs en Libye en 2015, selon le Global Conflict Tracker du Conseil américain des relations extérieures, un groupe de réflexion indépendant. Une journaliste étrangère, qui couvre la Libye depuis le début de la révolution et qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, a affirmé que la prolifération des groupes armés avait entraîné une « lutte acharnée pour contrôler le discours », et que la diversité des voix qui se font entendre en Libye avait contribué à une polarisation croissante de ces récits contradictoires. Outre les menaces physiques, les femmes journalistes en Libye disent avoir été ostracisées, harcelées sexuellement, attaquées sur les médias sociaux et dans l’ensemble victimes de discrimination.
Certaines journalistes disent qu’elles étaient tolérées avec réticence pendant l’ère de Kadhafi, mais toutes devaient se conformer aux règles du gouvernement. Aujourd’hui, elles ont plus de liberté pour leurs reportages, mais cette liberté comporte des risques. Les perceptions relativement moins strictes des rôles des genres se limitent habituellement aux villes comme Tripoli et Misrata, et même là-bas, de sombres courants existent. La majorité du pays est dominée par une société très patriarcale qui se caractérise par une ségrégation sexuelle stricte.
Les journalistes interviewées pour cet article ont rapporté que le traitement des femmes reporters et photographes en Libye varie si elles sont Libyennes, occidentales, musulmanes ou non-musulmanes. La journaliste étrangère qui a souhaité ne pas révéler son identité a expliqué que les reporters occidentales travaillent selon des règles tacites différentes et qu’on leur permet un code de conduite qui enfreindrait normalement les normes sociales. Elle a dit qu’elle avait pu surmonter les limitations imposées aux genres, mais qu’en aidant à former les journalistes locaux avant le soulèvement, elle avait remarqué que « le niveau général de confiance des jeunes femmes journalistes » était faible car elles ne se sentaient pas pleinement acceptées et ressentaient une pression négative de la part de leur famille et de leur communauté. Dans la plupart des cas, les femmes reporters n’étaient pas autant formées que les hommes et elles étaient plus réticentes lorsqu’elles devaient mener des interviews avec des personnalités, a-t-elle expliqué.
« Il était souvent sous-entendu que le travail d’une journaliste [libyenne] était moins respectable d’une certaine manière », a-t-elle déploré. Étant une occidentale ne portant pas le voile, elle se détache ; « Pendant l’un de mes derniers voyages, j’ai porté le hijab pour la première fois, non pas parce que je ressentais le besoin d’adhérer aux normes sociales libyennes, mais parce que nous savions alors que des cellules de l’EI opéraient dans la région et que les attentats à la voiture piégée étaient devenus fréquents », a-t-elle confié.
Une autre reporter occidentale, l’indépendante Yasmine Ryan, a expliqué que même si elle était traitée avec plus de tolérance que les reporters locales, le sexisme et l’anxiété que suscite l’arrivée de l’État islamique en Libye l’ont poussée à se sentir de moins en moins à l’aise. Ryan se dit très consciente de la stratégie de l’EI et de ses groupes affiliés de se servir de l’esclavage sexuel comme moyen de « légitimer ]le statut des[ femmes comme des marchandises », ce qui d’après elle, réduit encore la présence des femmes reporters sur la côte est et centrale de la Libye. Ryan rapporte encore parfois les informations depuis la Libye, lorsque les conditions de sécurité lui permettent d’agir avec une sûreté relative, et si elle peut obtenir un visa de journaliste.
Rana Jawad, principale correspondante de longue date pour la BBC en Libye, s’est également temporairement cachée suite au soulèvement de 2011, avant de reprendre ses activités journalistiques et d’écrire un livre, Tripoli Witness, où elle raconte son expérience personnelle. Aujourd’hui, elle couvre la Libye depuis Tunis. Elle explique que sa décision de quitter la Libye découlait de craintes quant à sa sécurité et celle de sa famille, surtout au regard de sa position bien en vue en tant que journaliste pour la BBC.
Alshibani, qui a travaillé pour des organes de presse ouvertement partisans, a affirmé avoir observé une « hostilité extrême » entre les membres des médias pro-islamistes et anti-islamistes qui ressentent une pression extraordinaire les poussant à adhérer à leurs groupes d’appartenance respectifs. Elle a également vu des femmes journalistes et des présentatrices poussées à « choisir leur camp si elles voulaient garder leur emploi ». La pression d’adhérer aux conventions est souvent implicitement axée sur le genre, a-t-elle déploré, et sur une quarantaine de chaînes de télévision et plus d’une centaine de publications lancées en Libye depuis 2011, « je n’ai entendu parler que d’une seule autre femme ayant un rôle décisionnaire », a-t-elle affirmé. Et d’ajouter en riant : « La plupart des hommes libyens n’ont tout simplement pas l’habitude de recevoir des ordres de la part des femmes. »
Cette perception des genres n’est pas spécifique à la Libye, mais elle a tendance à être amplifiée par le conflit culturel et politique en cours. Et dans de nombreux cas, ce conflit a suivi les femmes journalistes qui ont fini par s’exiler d’elles-mêmes. Alshibani s’est d’abord installée à Tunis, espérant pouvoir continuer ses reportages depuis un endroit relativement sûr jusqu’à ce qu’elle puisse retourner en Libye dès que les conditions de sécurité le permettraient. Pourtant, même en Tunisie, elle était attentive au fait qu’elle pouvait être la cible d’agents représentant une faction libyenne, surtout après qu’elle ait entendu qu’un membre d’une milice libyenne avait essayé de se procurer ses coordonnées. C’est cet évènement qui l’a poussée à partir pour Malte.
Si Alshibani a révélé avoir reçu des menaces « voilées », d’autres, notamment la reporter Manal Bouseifi, ont dit avoir été menacées directement. Bouseifi a raconté avoir fui son foyer en Libye après avoir reçu des menaces de mort pour ses « reportages provocateurs » sur la nécessité de réinterpréter les Hadith, le fondement des lois islamiques.
Bouseifi a étudié le journalisme en Libye pendant l’ère de Kadhafi et elle a commencé à travailler comme journaliste d’investigation pour une publication étatique libyenne en 2004. Deux ans plus tard, a-t-elle raconté, « Je travaillais sur un reportage d’enquête sur la prostitution avec une collègue ; nous avons découvert que cela était répandu et qu’il y avait beaucoup de violations des droits de l’homme. Mais le reportage a entraîné une réaction violente contre nous en tant que femmes abordant ce sujet. »
Après la chute de Kadhafi, « J’ai écrit un article en 2012 sur le droit des successions, car je souhaitais ouvrir le débat sur les droits des femmes lors de la transition politique et c’était l’article le plus polémique, a expliqué Bouseifi. J’ai vite découvert que j’aurais pu me faire égorger à cause de cette discussion sur le droit des successions. J’ai cinq enfants. Quatre sont en vie. J’ai fui avec eux. » Pourtant, a-t-elle déploré, les menaces l’ont suivie jusqu’à Tunis. En septembre 2015, Bouseifi a raconté avoir été attaquée dans la rue par un libyen qui lui a jeté du café au visage : « Il m’a dit que la prochaine fois, ce ne serait pas du café ».
Les journalistes libyennes qui se sont installées à Tunis font partie d’un important exode libyen qui a choisi la Tunisie du fait de sa proximité géographique et de l’absence de restrictions des visas. Presqu’un million de Libyens ont trouvé refuge à Tunis depuis 2011 seulement, selon le ministère tunisien de l’Information. Pourtant la Tunisie a aussi son lot de problèmes, notamment un fort taux de chômage, une division politique et un passé tumultueux avec la Libye. Bouseifi a annoncé qu’elle prévoit maintenant de s’implanter en Égypte et de démarrer une publication sur les droits de l’homme axée sur les femmes en Libye. Elle gère actuellement un groupe de femmes qui documentent les violations des droits de l’homme dans les prisons libyennes et traduisent en arabe des rapports comme ceux de Human Rights Watch pour les lecteurs libyens. Ces femmes utilisent des pseudonymes pour protéger leur identité, a-t-elle précisé.
Certaines journalistes libyennes ont choisi de rester dans leur pays natif, malgré les risques. Parmi celles qui vont à contre-courant, on compte la reporter connue sous le nom de plume Mariam Ahmed, qui a couvert l’actualité pour le journal Libya Herald et travaillé en tant qu’indépendante pour les médias étrangers depuis son foyer à Benghazi jusqu’en octobre 2015, lorsqu’elle a cessé de rapporter « la mort et la destruction quotidiennes » car le travail est devenu trop éprouvant, a-t-elle dit.
Ahmed, qui a 22 ans, a expliqué qu’elle ne se démonte pas face au conflit potentiel découlant du fait d’être une femme journaliste au sein d’une communauté largement conservatrice, et elle a réussi à nouer beaucoup de liens de premier plan, y compris parmi plusieurs milices. Elle dit réaliser que cela fait d’elle une sorte d’anomalie. « Les meurtres de 2013 ont été remplacés par des combats en face à face, et la violence est permanente, a-t-elle déploré. Les femmes ne vont plus nulle part en voiture, et elles marchent encore moins dans la rue. » Étant souvent la seule femme présente lors d’évènements tendus, Ahmed est bien connue, ce qui la rend plus visible et plus vulnérable aux attaques, a-t-elle reconnu. Pourtant sa famille soutient son travail, notamment son père, qui lui envoie des alertes sur les dernières nouvelles et l’aide à trouver des sources utiles. « Mon baba [père] m’a dit que si la mort devait survenir, elle le ferait peu importe les circonstances, mais que je ne devais pas vivre dans la crainte », a-t-elle confié.
Tout comme Alshibani, Ahmed a ressenti une volonté écrasante de documenter la violence autour d’elle. « Quand j’ai écrit mon premier article en 2012, pour la date anniversaire du bombardement de l’OTAN, j’ai découvert que je ne pouvais plus m’arrêter d’écrire, a dit Ahmed. Mais pendant la période actuelle, comme il n’y a pas d’évènements positifs, je suis frustrée. »
Interrogée sur d’éventuelles menaces, Ahmed a affirmé que le plus grand danger auquel elle faisait face était d’être prise entre deux feux ou de se brouiller avec un dirigeant local. Elle a expliqué que sa sécurité personnelle et celle des membres de sa famille reposent largement sur le fait d’entretenir la discrétion, de poser les bonnes questions et de savoir quand s’abstenir.
Une autre journaliste restée plus longtemps que la plupart des autres, la Tunisienne Huda Mzioudet, a dit que pendant qu’elle était en Libye, elle était la plupart du temps traitée de manière respectueuse et même protectrice. Elle attribue cela au port du voile et au fait d’être « familière culturellement, tout en étant une étrangère. »
Toutefois, Mzioudet a ajouté que les dangers grandissants l’ont amenée à rapporter des évènements « moins générateurs d’adrénaline ». Évitant les rues remplies de combats, Mzioudet a couvert des évènements sur la migration, qui nécessitaient aussi de se rendre dans les endroits éloignés potentiellement dangereux. Elle se souvient de l’un de ces voyages lors duquel le membre d’une tribu locale qui l’escortait à travers la région libyenne du désert du Sahara s’était mis à passer des chansons d’amour égyptiennes dans sa voiture. Sentant qu’il tentait de la séduire : « J’étais obligée de me demander ce que je faisais là sans aucune protection », a-t-elle remarqué. De retour chez elle à Tunis, elle travaille sur un livre décrivant ses expériences de reporter en Libye pour la Brookings Institution.
Le sentiment de vulnérabilité dû au genre, que Mzioudet a aussi ressenti lorsqu’elle négociait aux points de passage à la frontière entre la Tunisie et la Libye, l’a poussée à reconsidérer son travail sur le terrain, a-t-elle confié. Une fois, lors d’un passage à la frontière, un membre d’une milice libyenne a demandé ce qu’elle faisait en Libye. Elle a menti et lui a dit qu’elle était professeur d’université et qu’elle formait des étudiants, car elle craignait sa réaction s’il découvrait qu’elle était journaliste. Elle se souvient de comment son cœur s’est mis à battre lorsque ses questions ont commencé à faire des allusions sexuelles et a suggéré qu’elle devrait passer du temps à « le former à certains actes », comme elle l’a décrit. « J’étais pratiquement au milieu de nulle part, a-t-elle dit. En tant que citoyenne tunisienne, je ne compte pas sur la protection de mon gouvernement », a-t-elle précisé.
Malgré le fait d’attirer l’attention sur un terrain à dominante masculine, beaucoup de journalistes, à la fois libyennes et étrangères, continuent de couvrir ce pays, que ce soit à distance, en effectuant des passages périodiques en Libye, ou depuis l’intérieur du pays lui-même. Bouseifi a constaté que sa fille en âge d’étudier à l’université est déterminée à retourner en Libye en tant que journaliste et qu’elle espère couvrir l’actualité en arabe et en anglais. « Cela n’est pas possible pour le moment, mais oui, dans le futur, quand nous rentrerons, a-t-elle dit. Inchallah. »
Preethi Nallu est une journaliste indépendante basée à Tunis.