Rachael Levy/Chargée du programme en ligne sur Google du CPJ
La tension est en train de monter en République démocratique du Congo (RDC) après l’annonce d’une possible modification de la constitution pour permettre au président Joseph Kabila, qui est au pouvoir depuis 2001, de briguer un troisième mandat en 2016. Tandis qu’en vertu de la constitution actuelle, le président peut briguer au maximum deux mandats de cinq ans.
Des centaines de manifestants congolais ont protesté la semaine dernière à Kinshasa, la capitale congolaise, contre les tentatives de modification de la constitution, selon des médias. Cette révision pourrait être soumise à un référendum national lors des élections municipales et locales de l’année prochaine, a déclaré Evariste Boshab, secrétaire général du Parti populaire pour la reconstruction et la démocratie, un parti pro-Kabila qui a annoncé son soutien à ce dernier.
Les journalistes et les observateurs s’attendent à ce que la situation s’aggrave pour les médias à l’approche des élections. Déjà, les journalistes en RDC sont victimes de censure, de menaces et de violence de la part de la police, de l’armée, des services d’information et du gouvernement congolais, selon des recherches du CPJ.
« Les élections sont toujours considérées comme un moment où le pouvoir peut changer, ce qui rend les dirigeants très inquiets – plus ils restent au pouvoir, plus ils sont inquiets», a dit au CPJ dans un courriel le journaliste Anjan Sundaram, qui a fait des reportages sur la RDC depuis 2005.
Freedom for Journalists (FFJ), une organisation de défense de la liberté de la presse basée à Kinshasa, a déclaré au CPJ dans un courriel s’attendre à ce que les journalistes soient « la cible de diverses attaques (emprisonnement, harcèlement, menaces, agressions physiques, assassinats) » comme ils l’ont été lors des élections de 2011, qui ont été entachées par la violence et les allégations de fraude.
La diffusion de débats politiques peut inciter les autorités à accuser les journalistes d’appeler à la violence, a dit au CPJ Nick Elebe, directeur national pour la RDC de l’ONG Open Society Institute pour l’Afrique australe.
«C’est le genre de choses que les journalistes demandent aux dirigeants de l’opposition: si [le président] Kabila change [la Constitution], que ferez-vous? Et ils disent, « nous allons descendre dans la rue, nous allons protester », a dit Elebe. «Ils peuvent assimiler ce discours à un appel à la violence. Ils peuvent dire que vous appelez les gens à descendre dans la rue », a-t-il ajouté.
Les élections congolaises se déroulent généralement dans un climat de tension et d’intolérance, a dit au CPJ dans un courriel Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de l’organisation de défense de la liberté de la presse basée à Kinshasa, Journaliste en danger (JED). C’est « est une raison de se préoccuper de la sécurité des journalistes, qui peuvent alors être exposés à toutes sortes de représailles », a ajouté Tshivuadi.
FFJ a déclaré qu’elle envisage de rétablir la confiance entre les autorités publiques et la presse par l’organisation de conférences entre les journalistes, la police et la commission électorale nationale congolaise. Cette organisation de défense de la liberté des journalistes a ajouté qu’elle prévoit de donner aux journalistes du matériel tel que des gilets et des casques, ainsi qu’une formation en matière de sécurité.
Il convient de souligner que la presse en RDC a subi cette année plusieurs attaques qui ne sont pas directement liées aux élections. En effet, des journalistes de Molière TV, une station de radio basée à Kinshasa, faisaient un reportage sur une manifestation de conducteurs de mototaxi le 22 juillet dernier en dehors de leur rédaction, lorsque la police locale est intervenue, les accusant de trouble de l’ordre public. Les policiers les ont bastonnés, ont volé leur argent et détruit leurs caméras, ont dit au CPJ des journalistes dans un entretien téléphonique.
Une semaine plus tard, un journaliste travaillant pour une autre station a été arrêté pendant le tournage vidéo d’une autre manifestation de conducteurs de mototaxi à Kinshasa, selon JED. Le journaliste a été libéré après deux heures sans inculpation, a déclaré JED.
Des hommes armés ont fait des descentes aux domiciles des journalistes de radio David Munyaga et Bienvenu Malega à partir du 31 mai dernier et menacé leurs familles dans le Sud-Kivu, obligeant les hommes à entrer dans la clandestinité, selon Journaliste en danger et Radio France Internationale (RFI). Munyaga a déclaré à JED que les hommes armés étaient des éléments de l’armée du Burundi voisin, mais l’armée burundaise a nié toute implication, selon RFI. Les journalistes ont été accusés de fournir aux médias burundais des informations liées à la formation militaire d’un groupe de jeunes burundais par le parti politique au pouvoir au Burundi, a déclaré JED.
En février dernier, un journaliste, Germain Kennedy Mumbere Muliwavyo, a été abattu dans une fusillade alors qu’il était à bord d’un véhicule militaire congolais au Nord-Kivu, selon des recherches du CPJ.
Des fonctionnaires du gouvernement censurent également la presse dans la province riche en minéraux du Katanga, située dans la région sud-est du pays.
Dans la ville de Kolwezi, le ministre de la Communication a interdit en mai dernier les médias locaux de diffuser certaines déclarations de chefs traditionnels sans l’autorisation expresse des autorités politiques et administratives, selon JED. Le directeur d’une station de radio et télédiffusion dans cette ville a déclaré à JED que l’interdiction faisait suite à une déclaration d’un chef de tribu critiquant une société minière.
Il faut souligner que le ministre de la Communication, Lambert Mende et son conseiller Mandack Katago n’ont pas répondu aux demandes du CPJ pour des commentaires sur cette affaire.
Au Katanga, comme dans d’autres régions du pays, la présence de l’Etat en dehors des capitales peut être faible, selon Elebe de l’Open Society Institute pour l’Afrique australe. Cela permet aux puissantes entreprises minières d’exercer une influence sur les dirigeants locaux et administratifs, ce qui pose des difficultés aux journalistes faisant des reportages sur la pollution ou la corruption, a dit Elebe.
Les journalistes congolais faisant des reportages sur des sujets sensibles, tels que le conflit armé dans la partie orientale du pays, courent plus de risques que les journalistes étrangers et ils évitent parfois carrément ces sujets, a dit au CPJ dans un courriel un journaliste de radio congolais qui a requis l’anonymat par crainte pour sa sécurité. Les chefs de rédaction contrôlent les reportages « par la censure, comme s’ils étaient le gouvernement, refusant de communiquer des informations allant à l’encontre des intérêts de ceux au pouvoir », a déclaré le journaliste.