New York, le 10 décembre, 2013— Le Comité pour la protection des Journalistes (CPJ) est préoccupé par des informations faisant état de menaces par le Gouvernement du Mali à l’endroit d’un site web malien basé à Paris pour avoir posté aujourd’hui un article de l’agence de presse américaine Associated Press (AP) impliquant des soldats maliens dans des exécutions extrajudiciaires.
Le rédacteur en chef du portail d’informations Maliactu Sega Diarrah, a déclaré à l’AP avoir reçu deux appels téléphoniques différents et un courriel des ministères maliens de la Défense et de la Communication menaçant de bloquer son site au Mali si l’article en question n’est pas retiré.
« J’ai été contraint à retirer l’article », a déclaré Diarrah lors d’une interview qu’il accordée aujourd’hui à l’AP. « J’ai considéré que le blocage de mon site web au Mali allait avoir des répercussions qui auraient même pu être plus négatives pour ma publication que le retrait de l’article», a-t-il ajouté.
Joint par le CPJ, le Colonel Diarran Koné et le lieutenant-colonel Souleymane Maïga, deux porte-paroles du ministère malien de la Défense, ont déclaré ne pas être au courant d’aucun ordre de censure émanant de la hiérarchie militaire. « Personnellement, je n’ai jamais demandé à qui que ce soit de retirer des informations d’un site Internet », a déclaré Maïga au CPJ.
L’enquête menée par l’AP pendant six mois, diffusée dans un premier temps par ladite agence de presse le 8 décembre courant, porte sur des présumées représailles militaires contre des habitants d’origines arabes, peuls et touareg de Tombouctou après la libération de la cité de l’emprise des militants liées à Al-Qaeda en janvier dernier.
Dans son enquête, l’AP donne les détails sur sa découverte des corps de six habitants de Tombouctou qui avaient été portés disparus après la libération de la cité. Il contient des témoignages directs alléguant l’enlèvement des victimes par une unité de l’armée malienne. Selon le rapport de l’AP, les autorités maliennes n’ont cessé de nier toute implication dans ces exécutions sommaires.
Depuis le début de la crise au Mali en 2012, les autorités militaires ont intimé à la presse malienne de soutenir les forces de sécurité au nom du patriotisme et de la lutte contre le terrorisme. Plusieurs journalistes locaux et internationaux qui ont voulu scruter de près les agissements des soldats ont fait l’objet de détentions arbitraires, d’emprisonnement, d’intimidations, et de censure, selon des recherches du CPJ. En avril dernier, l’armée malienne a expulsé la journaliste française Dorothée Thiénot de la ville de Gao suite à son article qui rapportait des allégations impliquant l’armée malienne dans des exécutions sommaires.
« L’armée malienne a l’habitude de censurer et d’intimider les journalistes qui scrutent ses activités », a déclaré Mohamed Keita, coordonnateur du plaidoyer pour l’Afrique du CPJ. « Nous demandons aux autorités de mener une enquête au sujet des allégations d’intimidation à l’endroit de Maliactu et de faire un communiqué public clair précisant que les journalistes et les médias peuvent faire leur travail sans crainte de représailles », a-t-il ajouté.
Saouti Labass Haïdara, rédacteur en chef du journal privé L’Indépendant, publié à Bamako, la capitale du Mali, mais qui n’a pas son propre site web, a déclaré au CPJ que son journal a reproduit l’enquête de l’AP dans l’édition d’aujourd’hui sans aucun problème.
Le CPJ ne pouvait pas dans l’immédiat établir que d’autres sites Internet maliens avaient publié l’article de l’AP. Des journalistes locaux affirment que le gouvernement a dû être ébranlé après la publication de l’article dans un portail d’informations malien qui atteint un public plus large à l’étranger.