Le 5 juin 2013
S.E. Idriss Deby Itno
Président de la République du Tchad
N’Djamena, Tchad
Fax: +235 2251 45 01
Votre Excellence:
Nous vous écrivons pour exprimer notre inquiétude au sujet de l’emprisonnement depuis plusieurs semaines de journalistes tchadiens accusés de divers crimes contre l’État. Nous estimons que les graves accusations portées contre ces journalistes sur la base d’articles critiquant la gestion du pays par le gouvernement, assimile les auteurs d’opinions dissidentes à des criminels et étouffe tout débat légitime sur les questions d’intérêt public.
La police de N’Djamena, la capitale tchadienne, a arrêté le journaliste indépendant Jean Etienne Laokolé le 22 mars dernier et l’a accusé d’avoir écrit des articles critiquant le gouvernement sur Makaila.over-blog.com, un blog d’opposition publié au Sénégal, selon des médias et des journalistes locaux. Laokolé a été inculpé de diffamation et demeure en prison en attendant son procès, selon son avocat, Pierre Mialengar.
Le 6 mai dernier, la police a également arrêté Eric Topona, secrétaire général de l’Union des journalistes tchadiens, l’accusant de collaboration avec Laokolé dans la publication d’articles sur le même blog, a rapporté l’Agence France-Presse. Topona a été inculpé pour « atteinte à l’ordre constitutionnel » et reste incarcéré en attendant son procès.
Le 7 mai, les autorités sénégalaises ont ordonné à Makaila Nguebla, auteur de Makaila.over-blog.com, de quitter le pays, selon des médias. L’expulsion a été faite à la demande du ministre tchadien de la justice, a rapporté la presse.
Finalement, le même jour à N’Djamena, la police a arrêté Moussaye Avenir De La Tchiré, directeur de publication du trimensuel privé Abba Garde, pour avoir écrit dans son journal un article qui a relaté en détail des allégations d’abus des droits humains au Tchad au cours des deux dernières décennies, a déclaré son avocat au CPJ. De La Tchiré a été inculpé d’« incitation à la haine et au soulèvement populaire », et reste en prison en attendant son procès, a dit au CPJ Olivier Gourara, avocat d’Abba Garde.
Toutefois, aucune date n’a été fixée pour le jugement de ces journalistes.
Dans une interview avec la BBC le 8 mai dernier, vous avez accusé les journalistes et les blogueurs d’œuvrer contre l’unité nationale du Tchad. Monsieur le Président, les journalistes ne sont pas au-dessus de la loi mais ceux qui expriment leurs préoccupations sur les problèmes que vous connaissez et contribuent leurs idées pour un Tchad meilleur ne devraient pas être trainés devant la justice pour des crimes d’opinions et présentés comme des traitres et des criminels. De telles actions diminuent la portée de votre déclaration selon laquelle « Le Tchad de la Renaissance a besoin de tous ses enfants ».
Votre Excellence, dans une démocratie, les fonctionnaires ne devraient pas être à l’abri de critiques de la part des citoyens qu’ils servent. Nous vous demandons ainsi de faire preuve de plus de tolérance envers la critique et vous exhortons à user de votre pouvoir pour veiller à ce que ces journalistes détenus soient libérés et que les charges retenues contre eux soient abandonnées.
Merci de l’attention que vous prêtez à ces questions très importantes. Nous attendons votre réponse.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments distingués.
Joël Simon
Directeur exécutif
Ampliation :
S.E. Macky Sall, Président de la République du Sénégal
S.E. François Hollande, Président de la République de France
Jean-Bernard Padaré, Ministre de la Justice de la République du Tchad
S.E. Maïtine Djoumbe, Ambassadeur du Tchad aux États-Unis d’Amérique
S.E. Michel Reveyrand-de Menthon, Ambassadeur de la France en République du Tchad
S.E. Mark Boulware, Ambassadeur des États-Unis d’Amérique en République du Tchad
Pansy Tlakula, Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et l’accès à l’information, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Med S.K. Kaggwa, Rapporteur spécial sur les prisons et les conditions de détention, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Reine Alapini-Gansou, Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme en Afrique, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Antoine Bernard, Directeur exécutif de la Fédération international des ligues des droits de l’homme
Arnold Tsunga, Directeur Afrique de la Commission internationale des juristes