Danny O’Brien / Coordonnateur du Plaidoyer pour l’Internet du CPJ
Une grande raison du succès de l’Internet c’est son rôle en tant que support universel, accessible à travers le monde. Les quantités de données qui sortent d’un ordinateur au Botswana sont les mêmes que celles qui arrivent à la Barbade. La même chose est de plus en plus vraie pour les réseaux modernes de téléphonie mobile. Les normes se standardisent: vous pouvez utiliser votre téléphone, accéder à une application, ou envoyer un texte, où que vous soyez.
Cependant, dans les 10 pays maîtres de la censure identifiés par le CPJ, les réseaux de communications sont construits pour ne pas atteindre cet idéal, mais pour répondre aux restrictions de la liberté de presse dans chaque pays. L’Internet et les téléphones mobiles peuvent transformer la façon dont l’actualité est couverte, mais la liste du CPJ montre dans quelle mesure les contrôles sur les collecteurs d’informations manipulent et entravent la croissance de l’Internet et l’utilisation du téléphone cellulaire.
La situation est différente dans chaque pays, reflétant les priorités locales visant à museler la presse indépendante. En Biélorussie et en Syrie, l’Internet est le foyer de piratages et de surveillance illégaux, mais sanctionnés par l’État. En Arabie saoudite, les utilisateurs d’Internet sont soumis aux mêmes contrôles qui sont appliqués aux médias traditionnels. En Ouzbékistan, l’accès à Internet est croissant, mais la censure est toujours draconienne. En Guinée équatoriale, la censure de l’Internet et de la téléphonie mobile est minime, tout comme les réseaux de télécommunication.
En effet, la solution la plus simple que beaucoup de ces pays ont adoptée, notamment la Corée du Nord, la Birmanie, Cuba, et l’Érythrée, c’est de simplement nier à leur peuple tout accès à n’importe quelle infrastructure de communication moderne. L’Internet dans ces pays est inexistant, ou profondément limité: dans certains cas en raison de la pauvreté, mais aussi parce que ces pays se méfient des dangers d’un accès libre et ouvert à Internet.
Lorsque les infrastructures Internet existent, elles reflètent souvent les réalités politiques sur le terrain. En Birmanie, l’Internet est effectivement divisé en trois systèmes autonomes: un pour le peuple, un pour le gouvernement, et un pour l’armée. Les citoyens de la Corée du Nord (contrairement à l’élite dirigeante) ont autant accès au World Wide Web qu’ils en ont aux médias indépendants, c’est-à-dire aucun accès. Et tandis que Cuba a connu une certaine amélioration par rapport à la disponibilité des téléphones mobiles à des prix abordables, le pays a encore du mal à se rattraper après un passé marqué par l’interdiction du téléphone portable privé et la possession d’un ordinateur.
L’Érythrée est un exemple flagrant de la façon dont l’approche sans compromis d’un gouvernement face aux médias a fait obstacle à la propagation des moyens de communication modernes. Dans un continent où la téléphonie mobile a transformé la couverture de l’actualité au niveau local et les économies nationales, le régime a tardé à permettre l’utilisation des téléphones mobiles, (la permission n’a été accordée qu’en 2004). L’Internet a été mis à la disposition de l’Érythrée en 2000; l’Internet sur les téléphones mobiles est encore largement indisponible. Toutes les communications mobiles passent par EriTel, le fournisseur de l’État, et le gouvernement exige que tous les fournisseurs d’accès à Internet utilisent la passerelle contrôlée par le gouvernement.
Lorsqu’un pays avec des systèmes avancés bâillonne la liberté de la presse, cela affecte aussi l’état de ses réseaux de communication. Depuis que le CPJ a commencé à publier sa liste des pays qui censuraient le plus la presse au monde il ya six ans, les médias d’Iran et les correspondants étrangers qui y sont basés, ont subi de plus en plus de revers car l’aile dure du parti a essayé d’étouffer les reportages au niveau local. En même temps, l’Iran a investi dans la technologie et les ressources humaines dans l’intention évidente de restreindre l’accès à Internet. Les autorités ont discuté à plusieurs reprises des projets pour créer un réseau Internet iranien national, ou «pur», et les Iraniens font face à des ralentissements fréquents dans l’accès à Internet. Un membre du comité de filtrage de l’Internet du parlement iranien a décrit l’Internet comme «un invité surprise» dans le pays, affirmant qu’« en raison de ses nombreux problèmes, une surveillance sévère est nécessaire ».
Il en est de même dans le monde entier. Chaque pays censure, musèle, filtre et brise son réseau national à sa propre manière. En effet, chaque pays sur notre liste a trouvé un moyen unique d’entraver la propagation du journalisme en ligne: le résultat final a été de punir ses propres citoyens par l’isolement et le silence en ligne.