New York, le 29 février 2012– Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a appelé aujourd’hui les autorités sénégalaises à mener des enquêtes approfondies sur des agressions et menaces récentes contre des journalistes traitant l’actualité de l’élection présidentielle. Le CPJ a documenté au moins 12 cas d’intimidation contre des journalistes et médias. La plupart des incidents impliquaient des responsables des forces de l’ordre et des militants du Parti Démocratique Sénégalais au pouvoir. Le CPJ appelle les autorités sénégalaises à veiller à ce que la presse puisse faire librement son travail durant le second tour éventuel.
Le président sénégalais sortant, Abdoulaye Wade, brigue un troisième mandat après que les juges qu’il a nommés au Conseil constitutionnel ont statué que la limitation à deux mandats ne s’applique pas à lui. Il s’est présenté à la présidentielle de dimanche dernier avec 13 autres candidats. Les résultats officiels n’ont pas encore été publiés mais un second tour prévu le 18 mars courant entre M. Wade et un autre candidat est fort probable, ont rapporté des médias.
La candidature de Wade à un troisième mandat a suscité dans tout le pays des manifestations au cours desquelles au moins six personnes ont été tuées et beaucoup d’autres ont été blessées, notamment le correspondant de l’Agence France-Presse, Malick Rokhy Bâ, qui a été agressé par la police, selon le journaliste et des médias.
« Nous condamnons les actes d’intimidation et de violence contre les journalistes qui couvrent les élections présidentielles au Sénégal et appelons les autorités à enquêter sur les incidents et à poursuivre les auteurs devant la justice » a déclaré Mohamed Keita, coordonnateur du Plaidoyer pour l’Afrique du CPJ. « Les agressions contre la presse nuisent à la transparence du scrutin et à la confiance du public vis-à-vis des résultats. Les journalistes doivent être autorisés à exercer leurs fonctions librement. »
Le 27 janvier, deux policiers ont bastonné M. Bâ lorsque des manifestations qui ont eu lieu à Dakar, la capitale sénégalaise, ont été violemment dispersées, ont rapporté les médias. « Ils m’ont insulté et frappé », a déclaré le journaliste au CPJ, ajoutant qu’il s’était clairement présenté comme journaliste. Le même jour, deux femmes journalistes du quotidien sénégalais Le Populaire ont également été agressées par la police, selon des médias. « [Un policier] m’a donné des coups de pied et m’a jetée au sol tout en m’insultant » a raconté Aminatou Ahane à Amnesty International. Mme Ahane a déclaré au CPJ que le policier a alors saisi les cheveux de sa consœur Adama Aidara Kanté, l’a giflée et l’a jetée au sol.
Hors de Dakar, trois stations régionales de la chaîne de radio et de télévision publique, Radio télévision sénégalaise (RTS), qui est considérée comme favorable au gouvernement de M. Wade, ont été attaquées par des assaillants non identifiés. Maguette Diop, chef du bureau de la RTS à Thiès, a déclaré au CPJ que sa station a été attaquée par « un groupe de jeunes en motos » qui y ont jeté des pierres et des bidons d’essence dans le but apparent de la brûler. L’intervention rapide de la police a contrecarré l’attaque, a-t-elle affirmé. Toutefois, les stations de la RTS dans les villes de Kaolack et de Fatick, situées au centre du Sénégal, ont été saccagées par des manifestants en colère, a rapporté l’Agence de Presse Sénégalaise (APS).
Au moins un journaliste étranger, le photographe indépendant français Romain Laurondeau, a été blessé lors des manifestations contre la candidature de M. Wade. M. Laurondeau a été blessé au bras le 17 février au moment où il prenait des photos des manifestants. « Un projectile venant du côté de la police m’a frappé. La douleur et les gaz lacrymogènes m’ont fait tomber, j’étais incapable de bouger, » a-t-il déclaré au CPJ par courriel. Un journaliste citoyen local a posté sur Twitter une photo de M. Laurondeau gisant sur le sol tenant son bras après avoir été blessé.
Le même jour, Basile Niane, un des principaux blogueurs sénégalais, a publié des photos de la journaliste Sophie Barro, du quotidien privé L’Observateur, portée par deux membres du personnel médical après avoir été blessée alors qu’elle couvrait les manifestations. « J’ai reçu une grosse pierre sur ma cheville gauche. Je ne sais pas d’où elle venait étant donné que les manifestants tout comme les policiers lançaient des pierres, » a déclaré Mme Barro au CPJ.
Même loin des manifestations de Dakar, certains journalistes ont été menacés et harcelés. Le 21 février, Mohamed Naby Sylla, correspondant de la station privée RFM à Saint-Louis, une ville au nord du Sénégal, a déclaré avoir reçu des menaces au téléphone à environ 1h05 du matin heure locale de la part de quelqu’un qui s’est présenté comme étant Masseck Ngom, un petit frère du ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom. Les menaces auraient fait suite au reportage de Sylla sur le saccage présumé de la maison de la famille du ministre lors d’une manifestation.
« Il a menacé de brûler la maison de ma mère, » a déclaré M. Sylla au CPJ. Le journaliste a affirmé avoir remarqué par la suite qu’il était filé par un véhicule 4×4 lorsqu’il est sorti. « Je n’ai pas dormi dans ma maison et j’ai immédiatement appelé ma famille pour qu‘on ne permette à personne d’entrer dans la maison », a-t-il souligné.
Le CPJ n’a pas pu obtenir les coordonnées de Masseck Ngom. Interrogé sur les menaces présumées contre M. Sylla, le porte-parole du ministère de l’Information, Pape Atoumane Diaw, a déclaré au CPJ que le gouvernement n’avait rien à voir avec « les débordements des partis politiques », tout en ajoutant que le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal avait condamné l’incident et que les journalistes étaient libres de porter l’affaire devant les tribunaux.
Par ailleurs, un responsable du Parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir, basé dans la région de Tambacounda, située au sud-ouest du Sénégal, a déposé une plainte en diffamation contre Assane Diallo, correspondant du quotidien L’Office, pour un article publié le 20 février dans lequel le journaliste a indiqué que le responsable avait été hué lors d’un meeting de campagne, a rapporté samedi dernier Rewmi, un site local d’information.
Bakary Konté, correspondant de RFM dans la ville de Sédhiou située au sud du Sénégal, a également déclaré avoir été victime d’une tentative d’intimidation de la part de partisans du PDS, a rapporté le journal Le Quotidien. M. Konté a déclaré au CPJ que plus d’une douzaine de journalistes locaux ont subi des menaces ou des pressions afin qu’ils ne diffusent que des informations favorables au PDS.
Bocar Dieng, correspondant du groupe de presse privé Walfadjiri à Fatick, une ville située au centre du pays, a affirmé que Sitor Ndour, un chef de file local du parti de M. Wade, l’a agressé à son domicile le jour du scrutin suite à son reportage rapportant un présumé bourrage des urnes, a rapporté l’APS. « Sitor Ndour a tenté de m’intimider parce que j’ai signalé la présence d’étudiants haïtiens à Fatick qui étaient venus pour voter dans la ville » a déclaré l’APS citant M. Dieng, ajoutant qu’il a eu l’œil enflé. M. Ndour a nié avoir agressé le journaliste, selon la même source.
M. Diaw, porte-parole du ministère de l’Information, a déclaré au CPJ: «Ces incidents isolés sont regrettables et condamnables », et a affirmé que le gouvernement avait organisé des ateliers avec la presse et la police avant les élections. Il a estimé que les réclamations supplémentaires devaient être adressées à d’autres bureaux gouvernementaux, soulignant qu’il n’était pas qualifié pour parler au nom du gouvernement en matière de politique et de justice.
M. Wade est arrivé au pouvoir en tant que réformateur démocratique, après avoir été emprisonné et passé des décennies dans l’opposition. Cependant, son règne a été caractérisé par une intense répression médiatique, notamment des emprisonnements, des intimidations par la police et un harcèlement des journalistes critiques à l’égard de son gouvernement, selon des recherches du CPJ. Le gouvernement du président Wade a rarement traduit en justice de puissants fonctionnaires ou personnalités publiques et les membres des forces de sécurité impliqués dans des actes d’intimidation contre la presse, selon des recherches du CPJ.