Le 22 avril 2011
Son Excellence Paul Biya
Président de la République du Cameroun
Yaoundé, Cameroun
Fax: (237) 22 20 33 06
Cher Monsieur le Président Biya,
l y a un an cette semaine, le journaliste Germain Cyrille Ngota Ngota décédait dans sa cellule à la prison de Nkondengui à Yaoundé, où il avait été placé en détention provisoire sous des accusations pénales fondées sur ses activités en tant que directeur de publication du mensuel Cameroon Express. Nous tenons le gouvernement camerounais responsable de la mort de M. Ngota et vous demandons d’initier des réformes afin qu’aucun autre journaliste camerounais ne soit jeté en prison en représailles à des enquêtes ou à des reportages sur des questions d’intérêt public. Nous sollicitons ainsi votre leadership pour l’abrogation des peines d’emprisonnement en matière de délits de presse et le transfer des infractions par voie de presse du régime pénal au droit civil. De telles reformes satisferaient l’équilibre entre l’intérêt public et la sauvegarde des principes démocratiques fondamentaux tels que la transparence, l’accès à l’information et la responsabilisation, tant des journalistes que des personnalités publiques.
M. le président, les journalistes, dont le travail consiste à la quête et à la diffusion d’informations variées qui sont nécessaires au débat démocratique, ne sont pas au dessus des lois, comme l’a dit récemment au CPJ votre ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary. Cependant, ni le sont les forces de sécurité et les personnalités publiques qui abusent de leur autorité pour régler des comptes avec leurs détracteurs dans la presse.
M. Ngota avait été arrêté le 5 février 2010, après que lui et trois autres journalistes ont envoyé un protocole d’interview à Laurent Esso, secrétaire général de la présidence et président du conseil d’administration de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), au sujet d’allégations de détournement de fonds à la SNH. Les allégations étaient fondées sur un document, présenté comme une note confidentielle de M. Esso divulguée par une prétendue source anonyme, concernant le partage de « commissions » sur l’achat d’un bateau-hôtel par la SNH.
M. Esso n’a jamais fait de déclarations publiques sur le document ou les accusations contre lui, mais, selon l’enquête menée par le gouvernement camerounais lui-même, il a ordonné aux agents de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), sous l’autorité de la présidence, d’arrêter M. Ngota ainsi que les trois autres journalistes et de les obliger à révéler leur source pour le document en question. L’un de ces trois autres journalistes, Simon Hervé Nko’o, reporter de l’hebdomadaire Bebela, a accusé les agents de la DGRE de l’avoir torturé psychologiquement et physiquement au cours de sa détention au secret pendant une semaine sans chef d’accusation. Votre administration n’a jamais fait de déclarations publique sur ces allégations de torture, qui ont été documentées par un médecin qui a examiné M. Nko’o après sa libération.
Votre Excellence, le Cameroun est signataire de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toutefois, dans son rapport de mai 2010, le Comité des Nations unies contre la torture a signalé que le gouvernement camerounais n’avait pas fourni d’informations lui permettant de déterminer si la définition de la torture en vertu du code pénal camerounais était conforme à la Convention. Le Comité a également exprimé la crainte que, « dans la pratique, les détenus, à partir du moment de leur arrestation, bénéficient rarement des garanties prévues dans le Code de procédure pénale ».
Dans le cas d’espèce, M. Esso ne s’est tourné vers le système judiciaire camerounais que bien après avoir lancé les agents de renseignement de la DGRE contre Mr. Ngota et ses 3 confrères. Ainsi, sur plainte de M. Esso, la police judiciaire a arrêté M. Ngota le 25 février 2010. Un procureur de la République avait alors inculpé M. Ngota et deux autres journalistes de « falsification de la signature d’un fonctionnaire », les jetant ainsi à la prison de Nkondengui en attendant leur procès.
Les proches de M. Ngota ont déclaré au CPJ que le régisseur de la prison avait refusé leur demande de transfert du journaliste, qui souffrait d’hypertension artérielle, du quartier Kosovo de la prison où des criminels endurcis sont emprisonnés, sous prétexte que seul le ministère public avait un tel pouvoir. M. Ngota est décédé quelques semaines plus tard en détention provisoire, une pratique d’incarceration qui peut durer jusqu’à 18 mois en vertu de la loi camerounaise. Dans son rapport de mai 2010, le Comité contre la torture a déclaré qu’il restait «profondément préoccupé par le nombre élevé de personnes placées en détention provisoire », et a exhorté le gouvernement camerounais à «réduire la durée de la détention provisoire » et considérer celle-ci comme « une mesure « exceptionnelle ».
Monsieur le président, l’anniversaire de la mort de M. Ngota, le 22 avril, devrait être pour vous une occasion d’user fortement de votre pouvoir pour mettre fin aux détentions arbitraires et abusives et aux poursuites pénales de journalistes faisant des reportages sur des questions d’intérêt public, telles que les allégations de corruption publique. Nous vous exhortons donc à réformer le code pénal du Cameroun afin que les délits de presse soient jugés par des tribunaux civils. Conformément aux principes démocratiques de transparence et responsabilisation, nous vous demandons de prendre toutes les mesures nécessaires pour engager la responsabilité des fonctionnaires, les personnalités publiques, et les services de sécurité qui abusent de leur autorité pour exercer des représailles contre leurs détracteurs dans la presse.
Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir examiner avec bienveillance la présente requête. Dans cette attente, et, vous en remerciant par avance, veuillez agréer, M. le président, l’expression de nos sentiments distingués.
Joël Simon
Directeur exécutif