Le 16 janvier 2009
S.E. Paul Biya
Président de la République du Cameroun
c/o Ambassade de la République du Cameroun aux Etats-Unis d’Amérique
2349 Massachusetts Ave. NW
Washington, D.C. 20008
Cher M. le président,
Nous vous écrivons pour exprimer notre vive inquiétude quant à l’emprisonnement au Cameroun depuis septembre dernier de quatre directeurs de publication de journaux suite à des reportages politiques. En effet, votre pays est actuellement le deuxième pays qui emprisonne le plus les journalistes en Afrique, selon nos recherches. Nous vous appelons ainsi à la dépénalisation de la diffamation et des délits par voie de presse. Nous estimons que les affaires de diffamation devraient être réglées au sein des juridictions civiles.
Le 7 janvier dernier, un juge d’instruction de Douala a condamné Lewis Medjo, le directeur de publication de l’hebdomadaire La Détente Libre, à trois ans de prison ferme assortis d’une amende de 2 millions de francs CFA (environ 4200 dollars américains) pour publication de fausses nouvelles, selon des journalistes et des médias locaux. Ces accusations sont liées à un article paru en août 2008 portant sur un décret présidentiel qui aurait accordé une prolongation d’activité à certains hauts magistrats approchant l’âge de la retraite, selon le rédacteur en chef de La Détente Libre, Michée Medjo Gatheu.
Les avocats de la défense ont fait appel, mais M. Medjo est toujours en détention à la prison de New Bell à Douala, où il affirme avoir eu deux attaques cardiaques et des problèmes respiratoires depuis son emprisonnement le 26 septembre dernier, a dit au CPJ M. Gatheu qui a aussi déclaré que le journal n’est pas paru depuis lors.
M. Medjo a été arrêté le 22 septembre dernier et interrogé pendant plusieurs jours par la police, selon des journalistes locaux. Les policiers auraient également fait pression sur le journaliste pour qu’il révèle ses sources à propos d’un article exclusif portant sur le sujet sensible de l’affaire «Albatros», relatif à l’achat frauduleux d’un avion présidentiel défectueux en 2004, a dit M. Gatheu.
Par ailleurs, trois autres directeurs de publication de journaux, Michel Mombio, Armand Ondoa et Flash Zacharie Ndiomo ont été incarcérés à la prison centrale de Nkondengui dans la capitale camerounaise, Yaoundé, depuis plus de trois mois. Ils font l’objet d’accusations pénales pour des reportages critiques à l’égard de hauts responsables camerounais, selon des recherches du CPJ.
Ainsi, Michel Mombio du bimestriel L’Ouest Républicain sis à Bafoussam, une ville à l’ouest du Cameroun, a été arrêté le 4 septembre dernier et inculpé de tentative d’escroquerie, d’outrage à corps constitué et de chantage sur la base d’un article portant sur la ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation intitulé « Pouvoirisme, affairisme et ingratitude: les crimes de Madeleine Tchuinté » selon l’avocat de la défense, Me. Blanche Renée Mbenoun.
M. Mombio n’a pas pu bénéficier d’une liberté provisoire en novembre dernier, faute de ne pouvoir payer la caution fixée à 15 millions de francs CFA (environ 31.000 dollars américains). Son procès devrait reprendre le 19 janvier prochain, selon des journalistes locaux.
Quant à Armand Ondoa, le directeur de publication de l’hebdomadaire Le Régional sis à Yaoundé, il a été arrêté le 15 octobre dernier à son arrivée au bureau de Patrice Tsele Nomo, le directeur de l’École nationale d’administration et de magistrature du Cameroun (ENAM), pour Il avait adresse à Mr. Nomo un protocole d’interview à propos d’allégations de versements de pots-de-vin pour le concours d’entrée à l’ENAM, selon des journalistes locaux. Son collègue Max Mbida, du bimensuel Le Ténor de L’information, qui était avec lui au moment de l’arrestation, a aussi été détenu pendant plusieurs jours, a-t-il dit au CPJ.
Le lendemain, Flash Zacharie Ndiomo, le directeur de publication de l’hebdomadaire Zénith, a également été arrêté à son arrivée au bureau de M. Nomo qu’il devait interviewer pour les mêmes raisons.
Un procureur de la République a inculpé M. Ondoa et M. Ndiomo de tentative de chantage et d’atteinte à l’honneur, sur la base d’une plainte déposée par M. Nomo, selon des médias. Leur procès devrait reprendre le 22 janvier, ont déclaré des journalistes locaux au CPJ.
Ces journalistes n’auraient jamais du fai+e l’objet de poursuites criminelles, et nous vous demandons de veiller à ce qu’ils soient libérés. Le fait de jeter les journalistes en prison et de les harceler avec des poursuites pénales pour avoir enquêté sur des scandales de corruption, les intimide et les contraint à l’autocensure. A la longue, cela risquerait de saper les efforts que votre gouvernement mène pour éradiquer la mauvaise gouvernance dans l’intérêt national.
Nous pensons que les journalistes ne devraient pas être emprisonnés pour leur travail et que la diffamation relève du droit civil et non du droit pénal. Nous vous exhortons donc à abroger les dispositions pénales sur la diffamation et les delits de presse, qui sont souvent utilisées pour poursuivre et emprisonner les journalistes enquêtant sur les sujets sensibles et les responsables publiques.
Veuillez agréer, Monsieur le président, l’expression de nos sentiments distingués.
Joël Simon
Directeur exécutif