Dakar, le 4 août 2023 – Les autorités sénégalaises doivent libérer sans condition le journaliste Pape Alé Niang, qui a entamé une grève de la faim le 29 juillet, et cesser toutes les poursuites judiciaires à son encontre en lien avec son travail, a déclaré vendredi le Comité pour la protection des journalistes.
Le mardi 1er août, Niang, directeur de publication du site d’information privé Dakarmatin, a été mis en examen par le juge d’instruction de Dakar, la capitale, pour appel à l’insurrection et actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique, selon Moussa Sarr, l’avocat du journaliste, qui s’est entretenu avec le CPJ via une application de messagerie, et les médias.
Niang, qui est en grève de la faim depuis son arrestation à son domicile le samedi 29 juillet, est détenu au pavillon spécial réservé aux prisonniers malades de l’hôpital Aristide Le Dantec en raison de sa santé fragile.
« Les autorités sénégalaises doivent mettre fin au harcèlement juridique continu du journaliste Pape Alé Niang et veiller à ce qu’il soit libéré sans condition et à ce que toutes les charges retenues contre lui en lien avec son travail soient abandonnées », a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ à Durban, en Afrique du Sud. « La récente spirale d’arrestations et de harcèlement contre les médias au Sénégal, ainsi que les perturbations de l’accès à Internet, sont très préoccupantes, notamment à l’approche des élections qui se tiendront l’année prochaine. »
Des gendarmes ont arrêté Niang pour avoir prétendument appelé à l’insurrection dans une émission diffusée sur la chaîne YouTube de son site d’information le 28 juillet, selon Sarr et les médias. Dans la vidéo, Niang évoque la dernière arrestation, survenue plus tôt dans la journée, de l’opposant politique Ousmane Sonko, populaire auprès des jeunes électeurs, à l’approche des élections au Sénégal prévues pour le 25 février 2024.
Le chef d’accusation d’insurrection – également retenu contre Sonko – est passible de 10 à 20 ans de prison, selon l’Article 85 du code pénal sénégalais. Les manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou de provoquer de graves troubles politiques sont passibles de trois à cinq ans d’emprisonnement.
L’arrestation de Sonko et la dissolution de son parti ont déclenché de nouvelles manifestations lundi, au cours desquelles deux personnes ont été tuées. La condamnation de Sonko en juin dans une autre affaire de corruption de la jeunesse a conduit à des affrontements pendant desquels au moins 23 personnes ont trouvé la mort.
Lundi, le gouvernement a suspendu l’Internet en raison de « la diffusion de messages haineux et subversifs sur les réseaux sociaux », selon un communiqué du ministre de la Communication Moussa Bocar Thiam, une analyse du trafic Internet réalisée par la société de sécurité en ligne CloudFlare, et les médias.
Dans un communiqué publié dans les médias, Thiam a également suspendu TikTok mercredi « jusqu’à nouvel ordre », affirmant que le réseau social était « privilégié par les personnes malintentionnées pour diffuser des messages haineux et subversifs menaçant la stabilité du pays ».
Le CPJ, en tant que membre de la coalition #KeepItOn, un réseau mondial rassemblant plus de 300 organisations, a dénoncé l’instrumentalisation des coupures d’Internet par le gouvernement sénégalais en réponse aux récents troubles politiques.
La ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aissata Tall Sall, a déclaré mercredi lors de la conférence de presse hebdomadaire du gouvernement que Niang, au même titre que tout autre journaliste, n’avait jamais été arrêté pour son travail de journaliste, mais uniquement pour des déclarations délictuelles qu’il avait faites.
L’avocat de Niang, Sarr, a déclaré au CPJ que la loi sénégalaise lui interdisait de révéler des détails sur la perquisition effectuée samedi au domicile du journaliste et sur ce que les autorités avaient éventuellement saisi, car l’enquête était en cours.
En novembre, Niang avait déjà été arrêté par la police et mis en examen pour atteinte à la défense nationale suite à un reportage vidéo publié par Dakarmatin ; il avait été libéré sous caution à la mi-décembre avant d’être de nouveau arrêté quelques jours plus tard pour avoir prétendument enfreint les conditions de sa libération sous caution. Niang a été libéré en janvier, après avoir entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention.
Le cas de Niang a conduit le Sénégal à figurer sur le recensement annuel des journalistes emprisonnés de 2022 du CPJ pour la deuxième fois depuis son lancement en 1992.