New York, 17 décembre 2021 — Les autorités centrafricaines devraient libérer le journaliste Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé et veiller à ce qu’il puisse travailler sans craindre d’être harcelé ou arrêté, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.
Le 4 octobre vers midi, des membres de la police et de l’armée centrafricaines ont arrêté Nguéma Ngokpélé, directeur de publication du journal privé Le Quotidien de Bangui, à Bangui, la capitale, selon l’épouse du journaliste, Philomene Nseya Muteba, qui a rendu visite à son mari en détention et a relayé des informations le concernant au CPJ via une application de messagerie. Nguéma Ngokpélé a écrit des articles sur les relations diplomatiques entre la Libye et la République centrafricaine qu’il partage souvent sur les réseaux sociaux, selon un journaliste local familier de l’affaire, qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.
Dans des messages partagés avec le CPJ via son épouse, le journaliste a déclaré qu’il faisait l’objet de poursuites judiciaires intentées par le juge d’instruction Thierry Blaise Angalaka Nzapato pour complicité présumée avec le groupe rebelle Coalition des patriotes pour le changement (CPC), une association de malfaiteurs, diffamation, insulte et dénonciation diffamatoire.
« Les autorités centrafricaines doivent libérer le journaliste Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé et veiller à ce que la presse de leur pays puisse travailler sans crainte de harcèlement ou d’arrestation », a déclaré Muthoki Mumo, représentant du CPJ pour l’Afrique subsaharienne, depuis Nairobi. « Aucun journaliste ne devrait être privé de sa liberté pour avoir simplement fait son travail. »
Le 4 octobre, Nguéma Ngokpélé se trouvait dans la cour d’un stade local lorsque Harouna Douamba, le président d’Aimons Notre Afrique, une organisation non gouvernementale locale, l’a repéré et a communiqué à l’armée et à la police que le journaliste était un complice du CPC. Les forces de sécurité ont arrêté Nguéma Ngokpélé qui a ensuite été transféré à la prison centrale de Ngaragba, selon Muteba.
Muteba a ajouté que le journaliste n’avait aucune affiliation avec le CPC. Le CPJ n’a pas été en mesure de confirmer le fondement des allégations de complicité et d’association de malfaiteurs à l’encontre de Nguéma Ngokpélé.
Le CPJ a examiné des documents judiciaires datés du 27 octobre, qui indiquaient que les allégations de diffamation, de publications injurieuses et de dénonciation diffamatoire découlaient de publications partagées par le journaliste sur les réseaux sociaux qui auraient diffamé Maxime Balalou, le ministre centrafricain en charge du Secrétariat général du gouvernement, un poste administratif de haut niveau au sein du gouvernement national, en le qualifiant de « ministre corrompu, manipulé par un gang de la mafia libyenne », selon les documents.
Les documents ne précisaient pas la nature exacte des publications qui auraient été partagées par le journaliste. Le CPJ a pris connaissance d’un article écrit par Nguéma Ngokpélé et intitulé « Le ministre Balalou Maxime manipulé avec des billets de banque par un gang de la mafia libyenne ? qui a été publié par Le Quotidien de Bangui.
Selon les documents judiciaires, Nguéma Ngokpélé a souligné que le titre était « seulement une question ». « Je n’ai pas dit que le ministre était corrompu ; c’était une question », a-t-il ajouté.
Les documents judiciaires indiquent également que Nguéma Ngokpélé a été interrogé en l’absence d’un avocat.
La diffamation et l’insulte d’un responsable du gouvernement, qui constituent une violation de l’article 135, sont punies d’un emprisonnement de trois à dix ans et d’une amende de 500 000 francs CFA (862 US$), selon le code pénal de la République centrafricaine. Toutefois, si l’offense est réputée avoir lieu « en présence » de responsables autres que le président, l’offense est punie d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende pouvant atteindre jusqu’à 1 million de francs CFA (1 725 US$).
L’association de malfaiteurs est passible de « travail forcé », selon l’article 412 du code pénal. Les articles 11 et 12 du code pénal, qui portent sur la complicité de « complots ou de provocations attentatoires à la sûreté intérieure ou extérieure de l’État », entre autres crimes, stipulent que les complices d’un crime doivent recevoir la même peine que les auteurs.
En juillet, Vincent Namroba, Rapporteur général du Haut Conseil de la Communications de la République centrafricaine, organisme de régulation des médias et des communications de la République centrafricaine, a déclaré au CPJ qu’en vertu des lois du pays, aucun journaliste ne devrait aller en prison pour avoir fait son travail.
Si Nguéma Ngokpélé était reconnu coupable de diffamation en vertu de l’article 145 de la loi de 2020 sur la liberté de communication, dont le CPJ a pris connaissance, il serait passible d’une amende de 100 000 à 500 000 francs CFA (180 à 901 US$).
Auparavant, en juin, Nguéma Ngokpélé avait été arrêté et détenu toute la nuit suite à une plainte pour diffamation déposée par Douamba, comme le CPJ l’avait documenté à l’époque. L’arrestation a eu lieu lors de sa comparution devant le bureau du procureur de Bangui dans le cadre d’une autre affaire de diffamation datant de septembre 2020 en lien avec la couverture par Le Quotidien de Bangui de la corruption présumée du ministre des Eaux, Forêts, Chasse et Pêche du pays.
Par l’intermédiaire de son épouse, le journaliste a déclaré au CPJ qu’il croyait qu’il y avait « un lien incontestable » entre son arrestation suite à la plainte de Douamba et sa détention actuelle. Muteba a ajouté que Nguéma Ngokpélé souffrait d’une forte fièvre en détention.
Douamba a accusé réception des messages envoyés par le CPJ via une application de messagerie, mais n’a répondu à aucune d’entre elles concernant son implication présumée dans les arrestations de Nguéma Ngokpélé. Joint par téléphone et via une application de messagerie fin novembre, Angalaka Nzapato a décliné tout commentaire sur l’affaire.
Les questions du CPJ envoyées via une application de messagerie à Balalou et au procureur de la République centrafricaine Laurent Lengande ont été marquées comme lues, mais sont restées sans réponse.
La détention de Nguéma Ngokpélé a été documentée dans le cadre du recensement 2021 des journalistes emprisonnés du CPJ, qui recense chaque année tous les journalistes derrière les barreaux au 1er décembre dans le monde.