L’agression très médiatisée sur Lara Logan avait pour la première fois mis le danger de la violence sexuelle auquel sont exposés les journalistes sous les projecteurs. En conséquence, il y a une discussion plus ouverte entre les journalistes et les responsables éditoriaux, mais il existe encore trop peu de mesures préventives. Par Lauren Wolfe
Plus de discussions mais
peu de changements sur la violence sexuelle
Par Lauren Wolfe
Quand la nouvelle se répandit que la foule avait agressé sexuellement la correspondante de CBS et membre de la rédaction du CPJ, Lara Logan, à la place Tahrir du Caire en février 2011, les médias ont critiqué les termes spécifiques utilisés: pourquoi le communiqué de presse sur son agression avait-t il été si précis? Pourquoi dire que l’attaque était « brutale » et « sexuelle »? Ce que les gens ne savaient pas c’est que Mme Logan a été plus que satisfaite par le libellé de CBS et soulagée que l’information ait finalement été rendue publique. Le fait d’attendre quelques jours a été douloureux, a-t-elle récemment déclaré au CPJ. Elle était prête à parler immédiatement, pour faire savoir au monde que son agression sexuelle a été une attaque non seulement contre son intégrité physique, mais aussi contre la presse, et qu’elle allait non seulement survivre mais également poursuivre son travail, sans interruption.
«Votre silence est comme un déni, » a affirmé Mme Logan, ajoutant que CBS avait retardé la publication de cette information pour lui permettre de récupérer un peu physiquement et de s’envoler vers les États-Unis d’Amérique. Elle a dit qu’elle n’a jamais envisagé de dissimuler ce qui s’était passé aux téléspectateurs et qu’elle n’aurait pas pu demander plus à son employeur. « La chose la plus importante qu’une entreprise puisse faire est de soutenir un journaliste », a-t-elle indiqué. «Si mon patron m’avait demandé ce que je portais, cela m’aurait brisé le cœur », a-t-elle ajouté.
L’agression de Mme Logan n’était pas tout à fait inhabituelle. Le CPJ a dévoilé un certain nombre de graves agressions sexuelles ou de viols de journalistes dans son rapport de juin intitulé « Le crime silencieux », mais sa divulgation et la réponse favorable de son employeur l’étaient. Une étude du CPJ a découvert que depuis cette attaque, la sensibilisation et la sensibilité à la violence sexuelle contre des journalistes ont augmenté dans l’industrie de l’information, les responsables exprimant en particulier le désir d’apporter une aide aux journalistes et aux photographes en mission, Pourtant, la plupart du temps, la profession manque de programmes de formation qui répondent aux risques d’une manière significative.
Sur plus de 50 journalistes locaux et internationaux que le CPJ a interviewés pour « Le Crime silencieux », plus d’une douzaine ont déclaré avoir subi un viol ou d’autres agressions sexuelles violentes, telles que la pénétration digitale ou la sodomie avec un objet. La majorité des correspondants internationaux a déclaré l’avoir été à plusieurs reprises dans le cadre de leur travail. Mais, la plupart des journalistes ont déclaré au CPJ qu’ils avaient choisi de ne pas en parler à leurs rédacteurs ou de rendre publiques ces agressions sexuelles, et parmi ceux qui ont dénoncé ces actes, tous à l’exception d’un seul ont affirmé qu’ils avaient été victimes de censure et qu’on leur avait retiré la mission ou qu’on les avait sommés de rester tranquille.
« Je pense que c’est difficile pour nous de parler de ce genre de choses parce que nous ne voulons pas ressembler à des gens faibles, ou à des pleurnichards », a déclaré au CPJ en mai Kim Barker, journaliste de ProPublica. « Les patrons ont tendance à vouloir quelqu’un qui sait quoi faire et qui n’a pas besoin qu’on lui tienne la main », a-t-elle dit.
Mme Logan a déclaré au CPJ qu’elle avait subi des violences sexuelles dans le cadre d’un reportage précédent, un homme ayant violemment attrapé ses seins en Afghanistan, mais la nature extrême de l’attaque de 2011 l’a amenée à se prononcer.
En raison du manque de communication entre les journalistes qui ne divulguent pas les agressions sexuelles et les responsables de salles de rédaction qui ne posent pas de questions directement sur un sujet délicat ou tabou, les deux parties ne savaient pas ce qu’il fallatt faire par la suite. Mais depuis que Mme Logan s’est prononcée et depuis que la photographe du New York Times Lynsey Addario a rendu publique son agression sexuelle en Libye en mars, certains journalistes, notamment les rédacteurs en chef qui gèrent directement les journalistes et les photographes, se disent intéressés par l’ouverture d’une conversation ou par le fait d’essayer de nouvelles approches.
Wellford Jamie, chef de la section photographique de Newsweek, travaille avec au moins une douzaine de journalistes du monde entier qui sont souvent en mission dangereuse. Il a affirmé qu’il croyait que « la plupart des gens n’hésiteraient pas à me le dire s’ils avaient été agressés sexuellement ». Après une longue conversation avec le CPJ, Wellford a déclaré qu’il s’est rendu compte qu’il n’avait jamais directement demandé à ses photographes s’ils avaient déjà été agressés sexuellement, mais qu’il était prêt à le faire maintenant car ce serait une information de grande valeur.
« Il est extrêmement important quand vous mettez des gens dans un environnement de chaos et de désordre de les faire parler de leurs expériences», a-t-il souligné. «Il est important de savoir pour pouvoir déployer les gens sur le terrain. C’est tellement chaotique, sur place », a-t-il martelé.
Mary Anne Golon, chef de la section photographique au magazine Time pendant 24 ans jusqu’à ce qu’elle quitte ce journal en tant que directrice de la photographie en 2008, a déclaré au CPJ que, pour avoir été proche de beaucoup de ses photographes au fil des ans, elle comprend pourquoi les journalistes gardent le secret sur leurs agressions sexuelles lors de leur vie professionnelle.
« Je suis comme leur cheftaine », a déclaré Mme Golon. «Je suis celle qui met en place le téléphone satellite. J’ai une idée en premier lieu de ce qui s’est passé sur le terrain », a-t-elle dit. Les femmes journalistes ont informé Mme Golon de plusieurs « expériences horribles » dans des endroits tels que le Koweït et l’Israël, a-t-elle affirmé. Elle se rappelle avoir exhorté une journaliste qui a été particulièrement traumatisée après avoir été tripotée de dire à ses rédacteurs ce qui s’était passé. « Je lui ai dit, « Cela doit être publié ». Elle a répondu, « ce ne sera pas par moi ». Les gens ont peur des conséquences sur leur réputation plutôt que d’avoir une plus grande vision », a-t-elle souligné.
Mme Golon, tout comme M. Wellford, a déclaré qu’il devrait y avoir une discussion plus ouverte sur les agressions sexuelles. «Ce qui pourrait et devrait se faire c’est que les grandes organisations des médias en particulier devraient être tenues de donner à ces personnes une formation», a déclaré Mme Golon. « Cela devrait inclure une formation sur les agressions sexuelles. Elles devraient comprendre qu’il s’agit d’une possibilité réelle. Des mesures doivent être prises quand elles reviennent. Les organes de presse ne veulent même pas parler [du syndrome de stress post-traumatique] et encore moins des agressions sexuelles », a-t-elle ajouté.
Prashant Rao, chef du bureau de l’Agence France-Presse à Baghdâd, a déclaré au CPJ qu’il ne savait pas exactement quoi faire si un de ses journalistes était agressé sexuellement. «Une formation dans ce domaine serait vraiment la bienvenue, car je dois l’avouer, je n’ai pratiquement pas d’idée sur la manière dont je pourrais gérer de tels cas ou conseiller mes collègues sur la façon de les éviter/les prévenir», a écrit M. Rao dans un courriel.
L’enquête informelle menée par le CPJ sur les organisations de presse internationales a mis en évidence les efforts limités pour mettre en œuvre une formation qui traite spécifiquement de l’agression sexuelle. Seul NBC a déclaré qu’il avançait dans la conception d’un programme spécifique. Par ailleurs, les organes de presse locaux font face à des difficultés supplémentaires dans la prise en charge des agressions sexuelles, d’intenses barrières culturelles dans de nombreux pays empêchant les journalistes de révéler les viols ou les attaques.
Depuis mai, lorsque le vice-président de NBC chargé de la collecte d’informations dans le monde entier, Verdi David, a déclaré au CPJ que le réseau allait mettre en œuvre une formation sur la manière de prévenir et de traiter les agressions sexuelles, le réseau a créé et exécuté un cours pilote en collaboration avec un travailleur social qui collabore avec les militaires sur le stress post-traumatique.
«Nous avons senti qu’il y avait un trou dans cette formation, et nous avions besoin de le combler », a déclaré Tracey Leaf, directrice des ressources humaines pour NBC Universal et NBC News, qui a qualifié le processus de création du cours de « très difficile » car il n”existe pas de modèle de base. « Actuellement, c’est comme si j’étais entrain de tirer des flèches dans le noir, pour être honnête, » a déclaré Mme Leaf. Ce n’est pas comme la création d’une session de formation sur les finances pour votre personnel, a-t-elle ajouté. « Nous n’avons pas eu une formation toute faite pour cette fois » a-t-elle souligné. La formation de NBC inclut des conseils de sécurité et des discussions sur la façon d’identifier les troubles post-traumatiques du stress, a déclaré Mme Leaf, ainsi que des conseils médicaux. Des Kits de viol qui incluent la pilule du lendemain et un bloqueur du VIH seront prescrits à tout journaliste qui en fait la demande.
Quant à la crainte que la divulgation des agressions sexuelles ne se traduise par le retrait d’un reportage, Mme Leaf a déclaré à ce sujet qu’à la formation pilote de NBC, Verdi a dit aux journalistes: «Votre tâche ne sera jamais compromise à cause de cela. Nous voulons vous aider, mais nous n’allons jamais vous empêcher d’aller sur le terrain de nouveau pour cette raison ».
Mais, la formation seule n’aurait pas empêché ce qui est arrivé à Mme Logan, a déclaré Jeff Fager, président de CBS News et producteur exécutif de l’émission de Mme Logan, « 60 Minutes ». Il a comparé son attaque au fait d’être frappé par un tsunami, tout en soulignant qu’elle avait de « la chance d’être encore vivante ». Bien que Mme Logan et son équipe aient été accompagnées par un spécialiste de la sécurité dans la nuit au cours de laquelle a eu lieu l’attaque- l’équipe ayant été malmenée une semaine plus tôt, la situation exigeait un plus grand soutien », a noté M. Fager tout en ajoutant : « Nous n’accepterons jamais plus d’envoyer encore un journaliste dans une situation comme celle-là sans moyens de sécurité importants. Et si nous pensons que nous ne pouvons pas fournir une sécurité suffisante pour se sentir en sécurité? Alors nous ne couvrirons pas l’évènement ».
Lorsque les attaques se produisent, les journalistes sur le terrain devraient être en mesure de compter sur le soutien de leurs dirigeants, a affirmé Mme Logan. «Ils ont besoin de savoir qu’ils ne vont pas être remis en question, qu’ils ne sont pas à blâmer et qu’ils ne vont pas être discriminés…Ils doivent le savoir. Vous parlez de quelque chose de très dépouillé. Vous parlez de quelque chose de complètement vulnérable », a-t-elle souligné.
Lauren Wolfe est directrice de Women Under Siege, un projet sur la violence sexuelle et les conflits au Women’s Media Center. En tant que rédacteur en chef du CPJ, elle a rédigé le rapport du CPJ intitulé «Le crime silencieux: Violence sexuelle et journalistes » Auparavant, elle a travaillé en tant que chercheur sur deux livres du New York Times sur les attaques du 11 septembre.