Journalistes en prison: une augmentation considérable

l’Iran en tête des nations qui emprisonnent le plus les journalistes

De nettes différences régionales sont constatées tandis que le nombre de journalistes emprisonnés en raison de leur travail augmente considérablement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Des dizaines de journalistes sont détenus sans inculpation, dont beaucoup dans des prisons secrètes, selon un rapport spécial du CPJ.

Les journalistes faisant des reportages sur les manifestations et les troubles civils sont exposés à un risque croissant de détention. Ici, des soldats israéliens arrêtent un journaliste palestinien. (Reuters)
Les journalistes faisant des reportages sur les manifestations et les troubles civils sont exposés à un risque croissant de détention. Ici, des soldats israéliens arrêtent un journaliste palestinien. (Reuters)

Publié le 8 décembre 2010

New York
Le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde entier a augmenté de plus de 20 pour cent pour atteindre son plus haut niveau depuis le milieu des années 1990, une hausse principalement due aux emprisonnements à grande échelle à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, selon des recherches du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Dans son recensement annuel des journalistes emprisonnés en date du 1er décembre courant, le CPJ a identifié 179 personnes, notamment des rédacteurs, des directeurs de publication et des photojournalistes, derrière les barreaux en raison de leur travail, une augmentation de 34 par rapport au recensement de 2010.

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Cette année, l’Iran est le pays qui a emprisonné le plus de journalistes au monde, avec 42 journalistes derrière les barreaux. Les autorités de ce pays ont maintenu une campagne d’intimidation contre la presse qui a commencé à l’issu de l’élection présidentielle contestée du pays il y’a plus de deux ans. L’Erythrée, la Chine, la Birmanie, le Vietnam, la Syrie et la Turquie figurent également parmi les pays qui emprisonnent le plus de journalistes au  monde.

Le recensement du CPJ a constaté de nettes différences entre les régions. Pour la première fois depuis que le CPJ a commencé à compiler les informations détaillées sur les journalistes emprisonnés en 1990, aucun journaliste des Amériques n’était en prison pour des raisons liées à sa profession au 1er décembre. Le nombre d’incarcérations a également continué à baisser progressivement en Europe et en Asie centrale, où seuls huit journalistes ont été emprisonnés, ce qui est le plus faible taux enregistré dans cette région en six ans. Mais ces améliorations ont été éclipsées par des emprisonnements à grande échelle à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, où les gouvernements ont mis 77 journalistes derrière les barreaux, un chiffre qui représente près de 45 pour cent du recensement total dans le monde entier. Dans les pays asiatiques et africains, des dizaines d’emprisonnements ont été également recensés.

Alors que la répression postélectorale en Iran en 2009 avait marqué le début d’une vague d’emprisonnements contre la presse de ce pays, les autorités iraniennes appliquent depuis lors un système d’incarcération tournant, octroyant des permissions de sortie à des détenus tout en procédant à de nouvelles arrestations. Les journalistes qui ont bénéficié de permissions de sortie paient souvent des cautions à six chiffres et subissent d’énormes pressions politiques visant à les museler ainsi que leurs collègues. « Le nombre d’arrestations, d’interrogatoires et de personnes en liberté sous caution est énorme », a déclaré Omid Memarian, un journaliste iranien en exil. « L’effet est que de nombreux journalistes savent qu’ils ne doivent pas aborder des sujets sensibles. Cela affecte vraiment la façon dont ils rendent compte de l’actualité parce qu’ils subissent des intimidations et sont constamment sous la crainte », a-t-il ajouté. Parmi les journalistes détenus en 2011, figure le directeur de publication iranien Mohammad Davari, un lauréat du Prix international du CPJ pour la liberté de la presse dont le site Internet a exposé les abus et les viols de détenus au Centre de détention de Kahrizak désormais fermé. Plus de la moitié des détenus iraniens sont derrière les barreaux sous des accusations de menées antiétatiques similaires à celles formulées contre M. Davari.

Les accusations de menées antiétatiques, comme la trahison, la subversion, ou l’agissement contre les intérêts nationaux, constituent la principale cause d’emprisonnements de journalistes dans le monde entier. Au moins 79 journalistes ont été détenus sous de telles accusations, selon l’enquête du CPJ.

Cependant, le recensement de 2011 a également constaté une augmentation alarmante du nombre de journalistes détenus sans inculpation ni procédure régulière. Soixante-cinq journalistes, représentant plus d’un tiers de ceux incarcérés dans le monde entier, ont été détenus sans aucune charge divulguée publiquement, beaucoup d’entre eux dans des prisons secrètes, sans accès à des avocats ni aux membres de la famille. Dans certains cas, les gouvernements comme ceux de l’Erythrée, de la Syrie et de la Gambie ont nié l’existence même de ces journalistes emprisonnés. Parmi ceux-ci, des cas de mauvais traitement et de torture sont souvent rapportés et les autorités concernées opèrent sans obligation de rendre compte et en violation des normes internationales. Selon des informations non encore confirmées, au moins six de ces journalistes seraient morts à la suite de mauvais traitements en prison. Le CPJ continue d’inclure ceux-ci sur la liste des journalistes en prison pendant qu’il enquête sur leurs cas.

L’emprisonnement des journalistes sans inculpation est plus couramment pratiqué par le gouvernement de l’Érythrée, le deuxième pays qui incarcère le plus de journalistes au monde, avec au moins 28 derrière les barreaux. Bien que beaucoup soient emprisonnés depuis une décennie, aucun journaliste érythréen détenu n’a jamais été publiquement inculpé d’un crime. Parmi ceux qui sont emprisonnés, figure le journaliste suédo-érythréen, Dawit Isaac, qui est incarcéré depuis que le gouvernement a fermé les médias indépendants du pays en 2001. Malgré la pression croissante du Parlement européen, le président érythréen, Isaias Afewerki, n’a fait que de vagues déclarations selon lesquelles M. Isaac aurait commis « une grosse erreur ».

Dans un certain nombre de pays, les autorités ont ciblé les journalistes rendant compte de l’actualité concernant des groupes ethniques marginalisés. Cela n’est nulle part plus évident qu’en Chine, où le gouvernement a impitoyablement réprimé les directeurs de publication et les rédacteurs qui ont cherché à donner la voix aux groupes minoritaires tibétains et ouïgours du pays. Dix-sept des 27 journalistes emprisonnés en Chine rendaient compte de l’actualité concernant des groupes ethniques opprimés. (La plupart des autres étaient des rédacteurs en ligne exprimant des opinions politiques dissidentes.) Parmi les détenus, figure Dokru Tsultrim, un moine dont le journal a fait des reportages sur les affaires tibétaines et qui a écrit de manière critique sur les politiques du gouvernement chinois envers les Tibétains. D’autres peuvent languir dans les prisons chinoises sans se faire remarquer par les organisations médiatiques et les groupes militants. « Nous connaissons si peu les noms de personnes qui ont été détenues ou emprisonnées pour des crimes politiques », a déclaré John Kamm, président de la Fondation Dui Hua, un groupe qui milite pour les prisonniers politiques chinois.

Bien que leurs plans de réformes aient été largement salués, les nouveaux dirigeants du gouvernement civil de la Birmanie ont peu fait pour changer les pratiques de répression sévères de leurs prédécesseurs militaires. Les autorités détenaient au moins 12 journalistes au 1er décembre, un chiffre conforme aux nombres enregistrés au cours de la dernière décennie et qui est excessivement élevé étant donné la taille du pays. Le gouvernement de la Birmanie, le quatrième pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde, détient des personnes comme Hla Hla Win, une journaliste de la Voix démocratique de la Birmanie gérée par des journalistes en exil. Elle a été arrêtée en 2009 alors qu’elle essayait de faire un reportage sur des événements marquant le deuxième anniversaire de la Révolution safran, notamment une série de manifestations dirigées par les moines qui ont été violemment réprimées par les troupes gouvernementales. « Après les politiciens, les journalistes sont la deuxième cible principale », a déclaré Zin Linn, un journaliste birman en exil et vice-président de l’Association des médias birmans basée en Thaïlande. « Cela n’a pas changé avec le nouveau gouvernement. Je ne m’attends pas à ce qu’ils soient libérés très rapidement », a-t-il ajouté.

Une vague de répression continue contre les reportages et les commentaires en ligne ont fait du Vietnam le cinquième pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde. Tous les neuf journalistes vietnamiens derrière les barreaux au 1er décembre étaient des blogueurs qui ont couvert des sujets politiquement sensibles ou des affaires concernant des minorités religieuses. Parmi ces détenus, figure Pham Minh Hoang, un blogueur qui a écrit sur la corruption officielle, la dégradation de l’environnement et les échecs patents de la politique étrangère du gouvernement.

Dans le monde entier, 86 journalistes dont le travail apparaissait principalement en ligne étaient en prison au 1er décembre, ce qui constitue près de la moitié du recensement. Cette proportion est conforme à celles observées dans les deux enquêtes précédentes du CPJ, qui faisaient suite à plusieurs années de hausse significative du nombre de journalistes en ligne emprisonnés. Les journalistes de la presse écrite constituaient la deuxième catégorie professionnelle, avec 51 personnes en prison dans le monde entier. Les autres détenus étaient des journalistes de radio, de télévision et des documentaristes.

Le nombre de journalistes emprisonnés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a augmenté d’environ 50 pour cent au cours de l’année dernière. Cette augmentation est observée non seulement dans des pays comme la Syrie, où un régime répressif a emprisonné huit journalistes tout en réprimant les reportages indépendants dans une tentative désespérée de conservation du pouvoir. Des emprisonnements ont également été signalés dans la démocratie stable de la Turquie, qui comptait huit journalistes derrière les barreaux lorsque le CPJ a mené son enquête. Tout en renforçant leur pratique passée de l’emprisonnement des directeurs de publication et rédacteurs kurdes, les autorités de ce pays ont également commencé à cibler les journalistes traditionnels engagés dans le journalisme d’investigation. Parmi les journalistes détenus en Turquie, figurent Ahmet Şık et Nedim Şener, deux éminents auteurs et journalistes de presse écrite qui ont fait des investigations sur les défaillances du gouvernement. « Suite à l’emprisonnement de ces deux journalistes, la situation est plus menaçante pour tous les journalistes », a déclaré Erkan Saka, un blogueur politique et enseignant à l’Université Bilgi d’Istanbul. « Il y’a plus d’autocensure », a-t-il ajouté.

Bien que la vaste majorité des détenus fût des journalistes locaux emprisonnés par leurs propres gouvernements, huit journalistes internationaux étaient parmi ceux qui figurent sur le recensement du CPJ en 2011. Parmi ceux-ci, figurent deux Suédois, Johan Persson et Martin Schibbye, qui ont été placé en détention en Ethiopie, alors qu’ils faisaient des reportages sur les activités d’un groupe séparatiste. En tout, sept journalistes étaient détenus en Ethiopie, dont cinq sous des accusations vagues et non fondées de terrorisme. Malgré les critiques internationales, l’Éthiopie a agressivement étendu l’utilisation de sa loi antiterrorisme pour pénaliser toute couverture médiatique concernant les groupes d’opposition. « Cela montre que le gouvernement n’a pas peur », a déclaré Kassahun Yilma, un journaliste éthiopien qui s’est enfui du pays en 2009 lorsqu’il était confronté à la perspective d’une peine d’emprisonnement. Tout journaliste indépendant éthiopien se retrouve finalement face au même dilemme, a-t-il dit. « Faut-il rester à la maison et aller en prison pour rien, ou s’enfuir? ».

Le CPJ a confirmé la mort en prison de deux journalistes détenus par le gouvernement bahreïni. En effet, Karim Fakhrawi, fondateur du principal journal indépendant du pays, Al-Wasat, et Zakariya Rashid Hassan al-Ashiri, directeur de publication d’un site Web d’information locale dans son village d’Al-Dair, sont décédés dans des prisons de Bahreïn à une semaine d’intervalle en avril. Le gouvernement a affirmé que les journalistes sont décédés de mort naturelle, en dépit de nombreuses allégations selon lesquelles ils auraient péris suite à un traitement abusif.

Voici d’autres tendances et détails qui ressortent de l’analyse du CPJ:

  • Le total des journalistes emprisonnés à travers le monde en 2011 est le plus élevé depuis 1996, année où le CPJ avait enregistré 185 journalistes derrière les barreaux, du fait de la répression contre les journalistes d’origine kurde en Turquie. L’augmentation par rapport au recensement de 2010 était la plus forte hausse enregistrée en une seule année au cours d’une décennie.
  • Au moins 78 journalistes indépendants étaient en prison dans le monde entier, constituant environ 45 pour cent du recensement, une proportion conforme à celles observées dans les deux enquêtes précédentes. Les journalistes indépendants peuvent être vulnérables à l’emprisonnement parce qu’ils ne disposent souvent pas de l’appui juridique et financier que les organes de presse peuvent fournir aux employés.
  • Les accusations de menées antiétatiques sont le chef d’accusation le plus couramment utilisé pour emprisonner des journalistes. Les violations des règles de la censure, le deuxième chef d’accusation le plus courant, ont été appliquées dans 14 cas.
  • Dans 11 cas, les gouvernements ont eu recours à diverses accusations n’ayant aucun lien avec le journalisme pour exercer des représailles contre des rédacteurs, des directeurs de publication et des photojournalistes contestataires. Ces accusations vont de la possession de drogues à l’évasion fiscale. Dans les cas inclus dans ce recensement, le CPJ a déterminé que les accusations étaient plus vraisemblablement formulées en guise de représailles pour le travail des journalistes.
  • Les accusations de diffamation criminelle, de publication de « fausses » nouvelles et d’ « insulte » à caractère ethnique ou religieuse constituent les autres charges formulées contre les journalistes dans le recensement.
  • Pour la première fois en plus d’une décennie, la Chine ne s’est pas classée première sur la liste des pays emprisonnant des journalistes. Le fait qu’elle ait été supplantée en 2011 reflète les nombres élevés enregistrés en Iran plutôt qu’une baisse significative en Chine. En effet, le total de 27 journalistes emprisonnés en Chine au 1er décembre était conforme avec les chiffres documentés au cours des dernières années.
  • Pour la première fois depuis 1996, aucun journaliste cubain ne figure sur le recensement du CPJ. Le gouvernement cubain détenait 29 journalistes en 2003, suite à une répression massive contre les dissidents. Le dernier de ces détenus a été libéré en avril 2011. Bien qu’aucun journaliste cubain ne fût emprisonné au 1er décembre, les recherches du CPJ montrent que les autorités continuent de recourir à la détention à court terme des reporters et des directeurs de publication comme forme de harcèlement.
  • L’année dernière, le plaidoyer du CPJ a conduit à la libération anticipée d’au moins 65 journalistes emprisonnés. Parmi les personnes libérées, figurent des lauréats du Prix international du CPJ pour la liberté de la presse: le rédacteur cubain, Héctor Maseda Gutiérrez, et le directeur de publication azerbaïdjanais, Eynulla Fatullayev.
  • Deux autres lauréats du CPJ, le Chinois Shi Tao et l’Iranien M. Davari, demeuraient en prison au 1er décembre. Shi  Tao purge une peine de prison de 10 ans en Chine pour avoir divulgué un communiqué du département central de la propagande qui a été rétroactivement classé secret d’État.

Le CPJ estime que les journalistes ne devraient pas être emprisonnés pour le simple exercice de leur métier. Il a adressé des lettres exprimant ses vives inquiétudes à chacun des pays ayant emprisonné un journaliste.

La liste du CPJ constitue un cliché instantané des journalistes incarcérés en date du 1erdécembre 2011 à minuit. Elle n’inclut pas les nombreux journalistes emprisonnés et libérés au cours de l’année ; vous trouverez des récits sur ces cas sur le site www.cpj.org. Les journalistes restent sur la liste du CPJ jusqu’à ce que l’organisation détermine avec une certitude raisonnable qu’ils ont été libérés ou qu’ils sont morts en captivité.

Les journalistes qui ont disparu ou qui ont été enlevés par des entités non  gouvernementales, tels que des gangs criminels ou des groupes militants, ne sont pas inclus dans la liste des journalistes emprisonnés. Ils sont classés parmi les journalistes « disparus » ou « enlevés ».

Ce rapport a été compilé par le personnel du CPJ avec des reportages supplémentaires de Kristin Jones.