Attaques contre la presse en 2009: République Démocratique du Congo

Principaux développements
•Suspension des émissions en modulation de fréquence de RFI; d’autres stations censurées.
• Des centaines de personnes manifestent dans neuf provinces pour protester contre les menaces et la violence continues.

Statistique clé
3: Femmes journalistes menacées d’« une balle dans la tête »

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2009
Préface
Introduction
Analyse
Ethiopie
Gambie
Madagascar
Niger
Nigeria
Ouganda
RDC
Somalie
Zambie
Zimbabwe
En bref

Les autorités ont censuré la couverture des conflits armés et des violations des droits humains dans les provinces orientales du Kivu riches en minerais. L’insécurité a régné dans cette région instable, malgré la présence de la plus grande force de maintien de la paix de l’ONU. Des dizaines de milliers de personnes continuent de mourir chaque mois du fait des conflits, des maladies et de la famine, tandis que des groupes de défense des droits humains ont exposé en détail des cas de viol et de violence sexuelle. Ce vaste pays d’Afrique centrale est resté parmi les régions les plus risquées pour les journalistes, trois ans après qu’il a connu une transition vers la démocratie lors d’élections historiques soutenues par l’ONU. Dans tout le pays, des autorités ont harcelé et obstrué des journalistes qui ont critiqué des responsables locaux.

En juillet, les autorités ont suspendu sur toute l’étendue du territoire congolais les émissions en modulation de fréquence (FM) de la chaîne française, Radio France Internationale (RFI), une source populaire d’information indépendante, pour ses reportages sur le conflit dans les provinces orientales. S’exprimant lors d’une conférence de presse à Kinshasa, la capitale congolaise, le ministre de la Communication, Lambert Mende Omalanga a accusé la chaîne de mener «une campagne systématique de démoralisation des forces armées de la RDC », selon l’Agence France-Presse (AFP). Selon RFI, les autorités congolaises reprochent la station d’avoir cité un article de l’AFP daté du 22 juillet qui avait rapporté la désertion d’ex-rebelles qui avaient rejoint l’armée nationale dans le cadre d’un accord de paix. Plus tôt la même année, le gouvernement avait bloqué le signal de RFI dans les villes de Bunia et Bukavu, à l’est du pays, invoquant la sécurité nationale. M. Omalanga a accusé la journaliste de RFI Ghislaine Dupont de « tenter de déstabiliser le pays » après que la station a rapporté des compromis du gouvernement dans la gestion de l’armée et le processus de paix, selon des journalistes locaux. Expulsée en 2006, Mme Dupont a continué à faire des reportages d’actualités sur la RDC. Dans une lettre adressée au président congolais Joseph Kabila, le CPJ a protesté contre les actions du gouvernement contre RFI, les qualifiant d’« arbitraires et fondées sur des accusations non fondées ».

RFI pouvait encore émettre en ondes courtes, mais la suspension de ses émissions FM était lourde de sens, a écrit le journaliste Charles Mushizi basé à Kinshasa, dans un commentaire sur le Blog du CPJ. «Avec la confiscation des médias d’État par le groupe de la majorité politique au pouvoir et l’affaiblissement de la presse privée congolaise par d’intenses pressions financières et politiques et la répression, la plupart des Congolais écoutent Radio Okapi, un projet conjoint de la Fondation Hirondelle et la Mission des Nations Unies en RDC, et des stations étrangères comme RFI pour des informations indépendantes », a écrit M. Mushizi. « Du point de vue du gouvernement, l’intérêt national l’emporte sur les libertés fondamentales », a-t-il ajouté.

À travers le pays, l’Agence nationale de renseignements (ANR) de la RDC a surveillé les rédactions et les studios de diffusion et intimidé des journalistes qui critiquaient les autorités locales et les personnalités publiques. Par exemple, les agents de l’ANR ont harcelé à plusieurs reprises des stations dans la ville de Mbuji-Mayi, au centre du pays. En avril, les agents de l’ANR ont interrogé le journaliste Jean-Pierre Katende de la Radio Télévision de l’Eglise Evangélique Libre d’Afrique pendant plusieurs heures après qu’il a interviewé un politicien local qui avait fait des allégations de corruption dans le parlement provincial, selon l’organisation locale de défense de la liberté de la presse, Journaliste en danger (JED). En novembre, des agents de l’ANR ont fait une descente à la même station et à la Radio et Télévision Debout Kasaï pour des commentaires relatifs à l’état des routes et les taxes, selon des journalistes locaux. Jeef Tshidibi, directeur de la Radio Télévision de l’Eglise Evangélique Libre d’Afrique et deux employés ont été placés en détention pendant 10 heures avant d’être relâchés sans inculpation, selon JED.

Les autorités locales se sont également senties libres de museler les stations connues pour leur couverture indépendante. Le 11 mars, le maire de la ville Likasi, au sud-est du pays, et les autorités provinciales ont fermé deux stations privées, la Radio Communautaire du Katanga et la Radiotélévision Likasi 4, suite à leurs reportages sur une grève des cheminots, selon JED. Aucun de ces responsables ne semblait avoir l’autorité légale de prendre des mesures contre ces stations, selon des recherches du CPJ. Ainsi, ces interdictions ont été levées en mai.

Plus d’une décennie après que la chute du dictateur congolais, Mobutu Sese Seko, a conduit à la création d’une presse privée libre dans ce pays, la plupart des organes de presse appartiennent encore à des personnalités publiques, selon Chantal Kanyimbo, présidente de l’Union de la presse nationale congolaise, qui a déclaré que cette situation porte atteinte à l’indépendance des journalistes. Dans un phénomène documenté par JED, les politiciens au pouvoir ont utilisé les forces de sécurité pour harceler les organes de presse partisans de leurs rivaux. Mme Kanyimbo a ajouté que les problèmes économiques, notamment la faiblesse des salaires et l’absence d’un marché publicitaire considérable, ont conduit à des pratiques contraires à l’éthique de la profession. « Les journalistes sont dépendants de leurs sources d’information pour payer leur transport », a-t-elle souligné.

Les journalistes ont continué de solliciter des réformes dans le code pénal et la loi sur la presse congolaise de 1996, en particulier pour dépénaliser les délits de presse comme la diffamation, selon Mme Kanyimbo.

Aucun progrès législatif n’a été signalé, et quelques cas de diffamation pénale suivaient leurs cours devant les tribunaux. En juillet, un juge de la ville de Mbandaka au nord-ouest de la RDC, a condamné le journaliste indépendant, Bienvenu Yay, à une peine de six mois de prison avec sursis et a une amende de 500 dollars américains en dommages-intérêts, en relation avec un article critiquant l’ancien gouverneur de la province, selon JED. L’Assemblée nationale a adopté en octobre un projet de loi instituant une agence de régulation, le Conseil supérieur de l’audiovisuel. De nombreux journalistes espèrent qu’il sera indépendant. Mme Kanyimbo a qualifié de rare victoire pour la presse une disposition selon laquelle les neuf membres de ce Conseil doivent avoir des qualifications ou expérience professionnelles dans le domaine de la presse.

Mme Kanyimbo et d’autres femmes journalistes ont joué un rôle de leadership remarquable dans la presse congolaise et ont fait la promotion de la formation dans la couverture des questions relatives aux femmes. Au Sud Kivu, qui a été dévasté par le viol systématique, l’Association des femmes journalistes a formé des femmes qui aspiraient à devenir journalistes et produit des émissions de radio mettant en lumière les problèmes des femmes. Un tel travail a attiré des représailles. Les reporters Delphie Namuto et Caddy Adzuba de Radio Okapi et Jolly Kamuntu de Radio Maendeleo, toutes membres de l’Association des femmes journalistes, ont été menacées dans un texto anonyme en septembre. Ce message, envoyé à Mme Namuto, disait: «Vous avez la mauvaise habitude de vous immiscer dans ce qui ne vous regarde pas pour montrer que vous êtes intouchables. Maintenant, certains d’entre vous vont mourir pour que vous la boucliez. Nous venons d’avoir l’autorisation de commencer par Caddy, puis Kamuntu, puis Namuto: une balle dans la tête ».

Le CPJ a écrit à la secrétaire d’État américaine Hillary Rodham Clinton, qui a visité en août la ville de Goma, à l’est du pays, pour l’exhorter à « faire comprendre aux autorités de la République démocratique du Congo l’importance de la sécurité des défenseurs des droits de l’homme, notamment les journalistes qui font des reportages sur la guerre et son impact sur les sections vulnérables de la population, particulièrement les femmes ». En octobre, des centaines de journalistes ont organisé des marches dans neuf provinces pour inciter les autorités à réagir aux menaces et aux violences continues contre les journalistes. « Nous voulions leur faire comprendre que la presse est un baromètre de la démocratie », a dit Mme Kanyimbo au CPJ.

Les dangers étaient plus considérables dans la ville de Bukavu, où un journaliste a été assassiné dans des circonstances obscures. En effet, plusieurs assaillants ont poignardé en août Bruno Koko Chirambiza, présentateur à la station Radio Star, alors qu’il rentrait à pied d’un mariage avec un ami. Chirambiza, qui était âgé de 24 ans, a été retrouvé avec ses effets personnels intacts, notamment un téléphone portable et 5600 francs congolais (environ 7 dollars américains), selon le directeur des programmes de Radio Star, Jimmy Bianga. Le CPJ menait une enquête sur ce meurtre afin de déterminer s’il était lié au travail de M. Chirambiza. Aucune arrestation n’a été signalée, mais des journalistes locaux ont indiqué qu’une foule a lynché une personne soupçonnée d’être impliquée dans cet attentat.

M. Chirambiza était le troisième journaliste assassiné à Bukavu en trois années. Didace Namujimbo, un reporter de Radio Okapi, a été abattu à bout portant près de sa maison tard un soir de novembre 2008. Le frère du journaliste, Déo Namujimbo, a déclaré au CPJ que le téléphone cellulaire de la victime avait disparu mais que son argent liquide avait été laissé dans son portefeuille. Les suspects ont été identifiés et placés en détention en quelques jours, mais peu de progrès a été noté dans la procédure judiciaire. Le motif de ce meurtre reste peu clair et le CPJ a mené une enquête pour déterminer si le meurtre était lié au travail de Namujimbo.

Serge Maheshe, secrétaire de rédaction de Radio Okapi, a été abattu à Bukavu en juin 2007, alors qu’il se préparait à monter dans un véhicule de l’ONU avec deux amis, selon des médias et des interviews du CPJ. Les hommes armés ont abattu M. Maheshe de plusieurs balles à la poitrine et dans les jambes, mais ses compagnons n’ont pas été blessés. Le CPJ a déterminé que l’assassinat était en représailles pour le travail de M. Maheshe. Trois hommes ont finalement été condamnés pour cet assassinat, mais la procédure judiciaire a été largement critiquée pour des violations graves des droits fondamentaux des prévenus. Des journalistes, des observateurs et des avocats ont également été menacés pendant la procédure, selon les médias locaux et internationaux.

L’application inefficace de la loi a permis le règne d’une culture de menaces et de violence de persister. En avril, Déo Namujimbo a reçu des menaces de mort par courriel qui ont souligné son implication dans un rapport de Reporters sans frontières sur l’assassinat de son frère et de M. Maheshe, selon des médias. M. Namujimbo, qui était aussi un responsable de l’Union de la presse nationale congolaise au Sud-Kivu, a obtenu l’asile politique en France et a rapidement évacué sa famille de cette région. « Bukavu, la ville même où j’ai trouvé refuge en juillet 2004, lorsque les hommes de l’ancien chef de guerre, le général Laurent Nkunda, me cherchaient pour sur un article sur les atrocités des rebelles, devenait synonyme d’insécurité meurtrière pour les journalistes », a écrit M. Namujimbo sur le Blog du CPJ.

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